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réussit à entraver les arrivages de denrées, ce sera la famine. » A n’examiner que les chiffres, nous ne devons pas nous flatter d’affamer rapidement nos ennemis. Il est bien vrai que l’Allemagne importe environ le tiers du froment qu’elle consomme ; quoiqu’elle ait conquis, depuis vingt ans, sur la lande, dans les grandes plaines du Nord, notamment dans le grand-duché d’Oldenbourg, plus d’un million d’hectares et quoique son rendement moyen à l’hectare, — 22 quintaux en 1913, — grâce à ses engrais artificiels, soit sensiblement supérieur au nôtre, elle ne produit encore que 43 millions de quintaux de froment. Elle en achète à l’étranger 23 millions, qui vont lui manquer ; car ce n’est pas, comme on l’a dit à tort, en Hongrie qu’elle les trouverait, l’Autriche-Hongrie étant au contraire un pays importateur de grains et farines : il en introduit sur son territoire pour 80 millions de plus qu’il n’en vend. ;

Privée du froment de l’Argentine et des Etats-Unis, l’Allemagne se rejettera sur le seigle, dont elle interdit la sortie et dont elle récolte de 110 à 115 millions de quintaux par an. Elle en vendait annuellement pour une centaine de millions de francs, grâce à un régime de bons d’importation qui fonctionne chez elle et permet de remplacer par des sorties égales les grains achetés au dehors.

La consommation moyenne de ses 67 millions d’habitans étant de 160 millions de quintaux de blé ou de seigle, il ne lui en manquerait donc qu’une dizaine de millions pour se suffire jusqu’à l’année prochaine, si la récolte de 1914 avait été chez elle égale à celle de l’an dernier, ce qui d’ailleurs n’est pas le cas. La récolte de l’Europe est inférieure, en effet, de 120 millions d’hectolitres à celle de 1913 ; ce qui n’a rien d’inquiétant pour nous, puisque les Etats-Unis sont gratifiés, comme disent leurs journaux, d’un « océan de froment, » et trop heureux d’en envoyer de ce côté-ci de l’Atlantique, pour balancer les 650 millions d’or, dont ils se trouvent actuellement débiteurs, a raison des valeurs américaines que les belligrêrans ont jetées sur le marché de New-York.

De ce froment, le gouvernement français a sagement fait de s’assurer un stock, que des vapeurs affrétés pour notre compte par l’Angleterre ont déjà commencé de nous apporter ; non que nous en eussions un pressant besoin, mais parce qu’en temps de guerre, pour être sûr d’être assez approvisionné, il faut l’être trop.