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de la maxime immuable, encore qu’inavouée des Habsbourg : Voluntas Imperatoris suprema lex esto. »

Les Habsbourg ont toujours été maîtres en cet art de diviser pour régner ; qu’on relise seulement quelques pages de leur histoire séculaire ou quelques-uns de leurs présens décrets : « Le Gouvernement semble le plus souvent n’avoir pour objet que de maintenir l’équilibre entre les mécontentemens, entre les rivalités nationales ; la politique autrichienne a réussi, à force de finesse, à mettre les choses à ce point que chaque race ou parti accepte, comme consolation de ses propres désirs inaccomplis, la considération que l’état de ses propres rivaux n’est pas meilleur ou qu’il est même pire. »

Réunir les forces, mais désunir les cœurs ; entretenir les haines et supprimer toutes les occasions, tous les fauteurs de réconciliation entre frères ennemis ; lâcher, ici, une minorité stipendiée sur une majorité récalcitrante, là, toute une race mal dégrossie et plus docile sur une autre race plus consciente de sa dignité et de ses droits ; fomenter ailleurs la discorde entre les classes sociales, entre les religions, entre les communions, entre les corporations et métiers : Vienne en cette politique a acquis une habileté qui, devant elle, fait tomber tous les obstacles.

Les peuples ont beau en avoir été dix fois les victimes ; ils en restent toujours les dupes, et les instruirions eux-mêmes de ces machinations continuent de s’y employer, tout en sachant qu’au bout, l’ingratitude de la dynastie sera leur seule récompense et qu’ils seront trahis ou brisés, dès que leur éphémère utilité aura cessé de leur valoir la faveur plus éphémère encore du Souverain. On reproche parfois au Habsbourg son éclatante ingratitude. « Cette réputation, dit M. Steed, est méritée selon les mesures ordinaires ; mais elle doit paraître aux Habsbourg eux-mêmes comme une singulière injustice. Pourquoi les Habsbourg seraient-ils reconnaissans ? Leurs peuples, leurs hommes d’Etat, leurs fonctionnaires sont des serviteurs dont le devoir est d’obéir, d’exécuter des ordres, d’offrir des avis, puis de disparaître quand leur période d’utilité est à son terme. Parmi les vingtaines de ministres qui ont servi François-Joseph, bien peu se sont retirés sans éprouver le sentiment qu’ils avaient été de simples pions dans le jeu dynastique, dont il ne leur était point interdit de deviner les règles, mais dont ils n’avaient pas