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responsables et bénéficiaires : c’est contre eux néanmoins que l’excès du mal déchaina l’opinion quand une spéculation effrénée eut conduit aux krachs retentissans qui ruinèrent la place de Vienne : « Le ressentiment et l’émoi s’exhalèrent aussitôt dans une clameur anti-juive, » qu’un démagogue de génie, le Dr Karl Lueger, utilisa pour mener « les forces de l’antisémitisme social et chrétien à l’assaut des places fortes du libéralisme juif et capitaliste, à la défense aussi de l’Eglise et de la société chrétienne et, par suite, de la dynastie, expression suprême de l’ordre chrétien dans l’État. » Lueger transforma la politique des Allemands d’Autriche. Avant lui, ils inclinaient au pangermanisme, tout un parti réclamait la séparation de Rome, Los von Rom, et l’entrée des Allemands autrichiens dans le luthéranisme, comme première étape de leur entrée dans le germanisme intégral, dans l’empire du Hohenzollern. « Lueger tua le mouvement du Los von Rom avec tout ce qu’il enveloppait de menaçant pour le loyalisme envers la maison de Habsbourg, et il donna à la bureaucratie autrichienne une impulsion plus forte qu’elle n’en avait reçu depuis le temps de Joseph II. »

Contre la liberté abusive du capital, contre l’exploitation par le Juif, Lueger présenta la dynastie au populaire comme le défenseur-né des travailleurs et des pauvres : « Le génial, l’irrévérent démagogue devint graduellement le champion de la loi et de l’ordre, le chéri de l’Eglise, un pilier du trône, un symbole de tout ce qu’il y a de positivement et consciemment conservateur dans l’État. » Même après la mort de Lueger, son œuvre subsista : « De longtemps la tradition de Lueger ne saurait mourir, la tradition que l’Autriche, avec tous ses défauts, ses faiblesses et ses caractères asiatiques, est un État plein de vie, en pleine croissance et cohésion, et non point un État décrépit ; que les intérêts du peuple coïncident en somme avec ceux de la dynastie ; que les Allemands d’Autriche, s’ils sont l’élément dirigeant, ne sont pas le seul à soutenir l’État et que leur premier devoir est envers leur patrie, le second, envers leur race ; que, les Slaves et les Juifs ont droit à l’égalité de traitement et de considération dans la mesure de leur loyalisme envers la Couronne et la Patrie, mais que quiconque est en coquetterie avec les affinités d’au-delà des frontières est indigne de son droit de naissance autrichien. »