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ou personnelle illusion ?… M. Steed « s’estime fondé à croire qu’à l’heure d’une nécessité commune ou chaque fois que le chef de la dynastie demandera un commun effort, on verra encore éclater le sentiment exprimé par les vers fameux de Grillparzer, comme il éclata durant la crise de l’annexion bosniaque en 1908-1909 :


Die Gott als Slav’ und Magyaren schuf,
Sie streiten um Worte nicht hämisch,
Sie folgen, ob deutsch auch der Feld’herren ruf :
Demi Vorwaerts ist ungrisch und böhmisch.
Gemeinsame Hilfe in gemeinsamer Not
Hat Reiche und Staaten gegründet ;
Der Mensch ist ein einsamer nur im Tod[1].


« L’âme de l’Autriche, dit M.Stced, est toujours dynastique. » Les peuples de la monarchie se soucient moins de leurs droits que de leurs sentimens et de leurs intérêts : leurs cœurs restent attachés au Maître et à sa famille ; dans leurs nécessités communes de paix ou de guerre, ils ne voient d’aide réciproque que par le canal de la monarchie.

Peu leur importe que le « cri du Maître » soit allemand, pourvu que par sa noblesse, par sa gentilhommerie apparente tout au moins, par l’étalage de sa grandeur et de son luxe, par le souci de son prestige et l’entretien de ses belles relations dans le monde, il continue d’avoir les dehors de sa charge et de faire honneur à son trône et à ses sujets. D’autres peuples se font gloire de leurs artistes, de leurs savans, de leurs forces de terre et de mer ; d’autres vivent de leurs souvenirs, dans le passé, et quelques-uns, de leurs grands espoirs, dans l’avenir. Les peuples d’Autriche n’ont la superstition ni de l’art, ni de la science, ni même de la gloire militaire : ils vivent dans le présent, de leurs besoins satisfaits, et, dans le passé comme dans l’avenir, de la grandeur de leur dynastie. Entre elle et eux, s’échelonne une haute, moyenne et petite noblesse qui disloque les nationalités pour faire de chacune une

  1. « Ceux que Dieu fit Slaves ou Magyares ne vont pas se battre pour un mot. Ils marchent même quand le cri de guerre est allemand. En Avant est aussi hongrois et tchèque. C’est l’aide commune dans le besoin commun qui a fondé les États et les Royaumes : l’homme n’est isolé que dans la mort. »