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entre leurs nationalités ennemies, le transmetteur à travers les siècles de cette charge sacro-sainte que le Seigneur a confiée à sa famille pour le salut commun dans ce monde et dans l’autre.

« Chaque Habsbourg couronné, dit M. Steed, interprète à sa manière la mission dont il croit que la Providence l’a investi. » Mais la croyance en cette mission se perpétue d’Habsbourg en Habsbourg couronné et, si un Joseph II et un François II, un Ferdinand II et un François-Joseph ne l’entendent pas de même façon, « la politique de Habsbourg [reste toujours] un opportunisme exalté à la poursuite d’une idée dynastique immuable. »

Maintenir la dynastie, en assurer le repos et le bonheur : la monarchie et ses fonctionnaires ne doivent vivre et faire vivre les peuples que pour ce programme. On recommandait un jour à l’empereur François II un bon patriote, qui avait rendu de grands services à l’Etat : « Vous me dites, répondit ce Habsbourg, qu’il est bon patriote à l’égard de l’Autriche ; mais l’est-il aussi à mon égard ? »

Il peut venir à certains esprits que cette conception gouvernementale à peu de chances de durée en un temps où les droits des dynasties et les devoirs des peuples envers elles obtiennent de l’opinion publique moins de considération que les droits des peuples et les devoirs des dynasties envers eux. Pour quiconque vit en Occident, il est même incompréhensible que la monarchie des Habsbourg puisse conserver cet idéal et prolonger en plein XXe siècle la survivance d’un pareil anachronisme : d’où l’opinion assez commune parmi nous que les jours de cette monarchie sont comptés et que la seule commisération des peuples envers le malheureux et moribond François-Joseph, leur faisant retarder la revendication de leurs justes droits, assure à la dynastie quelques années, quelques mois encore ; on croyait volontiers à Paris que, le jour où la mort coucherait dans la tombe cet auguste vieillard, une sécession de toutes les nationalités jetterait par terre cette auguste bâtisse.

Mais à vivre quelques années au sein même et surtout au cœur de cette monarchie, on perd quelque peu de cette croyance ; y ayant vécu surtout durant cet automne et cet hiver de 1908-1909, où la crise de l’annexion bosniaque fit paraître au grand jour les sentimens de tous les sujets, M. Steed en a rapporté la croyance, toute contraire, à la solidité, à la durée possiblement indéfinie de ce présent état des choses. Est-ce préjugé d’Anglais