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l’exemple, la propagande et les victoires de la France révolutionnaire éveillaient à travers l’Europe ? En cette cuve danubienne, où, par quatre et cinq fois, accourait l’invasion jacobine, puis napoléonienne, en ces provinces de la Save et de l’Adriatique où l’empire napoléonien installait même ses préfectures, comment les peuples-liges garderaient-ils leur fidélité à ce Habsbourg qui, le danger turc une fois disparu, ne leur était plus que d’un secours médiocre et pesait lourdement d’autre part à leurs sentimens et à leurs revenus ?

Mais la Révolution et Napoléon tombèrent à Waterloo avant que l’éveil des nations fût terminé ; et le souvenir des services que le Habsbourg avait rendus jadis contre le Turc était encore vivace parmi les peuples délivrés ; et le Turc campait toujours sur le promontoire de Belgrade, d’où ses guetteurs dominaient la cuve, d’où ses pillards couraient au loin razzier les troupeaux et les femmes ; et dans le triomphateur du Congrès de Vienne, dans Metternich, la monarchie traditionnelle trouvait un restaurateur du droit féodal qui proclamait son dessein (c’était même sa devise) de maintenir partout « ce droit par la force ; » et refrénant toutes les velléités d’indépendances nationalistes, Metternich disposait de trente années de ministère (1815-1848) pour donner à son œuvre la solidité que nous lui constatons encore. C’est en vain qu’un nouvel assaut de la Révolution le chassa du pouvoir en 1848 et fit chanceler une seconde fois la monarchie : la main toute-puissante du Tsar la remit en son assiette et équilibre.

Depuis 1849, l’œuvre de Metternich s’est maintenue et raffermie, en se parant seulement d’une façade nouvelle, en masquant un peu ses assises et ses murailles féodales sous des attributs et des ornemens parlementaires. Mais si les dehors ont été modernisés et l’apparence rajeunie, rien n’est change dans la construction même et la charpente, ni dans la distribution et le mobilier, ni dans la vie du propriétaire.

C’est toujours le même empire féodal et familial dont le chef, se tenant pour le délégué de Dieu, pour le commissaire de la Providence dans le monde danubien et balkanique, prétend à rester le seigneur et le père de ses peuples, le propriétaire de leurs personnes comme de leurs terres, — et de leurs voisins, — le recteur de leurs consciences, le tuteur de leurs familles, le mainteneur surtout des relations amicales et de la paix publique