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arrêtèrent le Turc et l’Islam dans leur remontée triomphante du Danube ; ce sont les généraux du Habsbourg, menant des armées allemandes, croates, serbes, tchèques, hongroises et transylvaines, qui rejetèrent la conquête ottomane derrière la Theiss, puis derrière la Save et les Carpathes ; les autres Puissances européennes, la France et la Russie surtout, ne les eussent-elles pas arrêtés en cette descente libératrice, il est possible que les Habsbourg l’auraient poursuivie jusqu’aux rivages de l’Archipel et de la mer Noire.

Si toutes les chrétientés danubiennes eussent été de même race, de même langue ou seulement de même rite, il est probable que, de ces luttes séculaires, la victoire aurait fait émerger une monarchie des Autriches toute semblable à celle que les mêmes luttes pour la foi établissaient sur les Espagnes ou sur les Russies : monarchie unitaire, monarchie religieuse, nivelant les indépendances et les autonomies et renversant les limites de royaumes ou de cantons pour soumettre à son droit divin et à son bon plaisir les corps et les âmes.

Mais entre ces chrétientés du Danube, les différences de rites avivaient encore les haines de races, et les incompréhensions de langage parachevaient le chaos : chaque peuple voulait rester fidèle à sa communion, à son caractère familial, à ses traditions, comme à son costume. Loin de se fondre en une unité religieuse, leurs particularismes se traduisaient en des sectes et des hérésies : chacune de leurs nationalités se faisait un christianisme à sa mode ; Tchèques, Moraves, Magyars, etc., même au sein du catholicisme, chacune voulait avoir sa religion. Quelques-uns même préféraient au salut de leurs âmes la garantie de leur particularisme : Croates et Transylvains trahissaient les armées de la Croix pour chercher dans la vassalité du Turc et de l’Islam la sauvegarde de leur autonomie.

C’est de là que la monarchie des Habsbourg tira son caractère spécifique. Elle ne pouvait pas s’imposer par l’Eglise à l’obéissance globale de ces chrétientés ; elle dut gagner leur dévouement, solliciter et obtenir l’adhésion de chacune et, pour se les attacher l’une après l’autre, chercher un autre lien que la religion. A la mode germanique, le Habsbourg fonda sa puissance sur le droit féodal, sur l’hommage-lige, sur le serment de fidélité individuelle et nationale. En dehors des terres allemandes, il se construisit un empire d’après les principes du