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nous avons craint que les armées françaises ne fussent par trop inférieures à leurs adversaires, où nous avons cru que l’Allemagne ne serait battue que sur mer et sur sa frontière orientale et qu’après la guerre la France ne subsisterait comme grande Puissance que grâce à l’aide de ses alliées. D’avoir eu cette peur au sujet de la France, nous lui demandons maintenant pardon. » L’Angleterre a reconnu dans nos soldats le vieux génie de notre race guerrière et, aujourd’hui, elle nous rend justice avec une effusion presque lyrique. Nous aurons une franchise égale à la sienne. Nous n’avons jamais douté des solides qualités du soldat anglais; la ténacité est sa vertu maîtresse; rien ne l’ébranle, rien ne le décourage ; il en a donné des preuves continuelles dans toute son histoire. Toutefois, on pouvait se demander s’il était préparé à la guerre moderne, s’il en avait prévu d’avance les rudesses brutales et s’il s’y adapterait du premier coup. Nous avions aussi une autre préoccupation : l’armée anglaise, qui ne se compose que de volontaires, serait-elle assez nombreuse pour nous apporter un concours efficace contre plusieurs millions d’Allemands? A notre tour, nous demandons pardon des craintes que nous avons un moment éprouvées. Soldats et officiers anglais n’ont rien perdu de leurs qualités anciennes et en ont tout de suite acquis de nouvelles. Enfin, la « méprisable petite armée du général French, » comme s’exprime l’empereur Guillaume, se compose aujourd’hui de près de 300 000 hommes et elle grossit sans cesse. Oui, nous nous en confessons humblement, quand lord Kitchener a parlé de lever une armée d’un million d’hommes, nous nous sommes demandé s’il n’y avait pas quelque exagération, quelque illusion dans ce chiffre : nous sommes maintenant éclairés et rassurés. Les volontaires pullulent en Angleterre et lorsque tous ces hommes auront reçu une première instruction militaire, ils ne seront pas seulement pour nous un appoint très utile, ils seront une armée formidable. Et que dire du concours que l’Angleterre a trouvé dans ses colonies ! Des milliers et des milliers d’Indiens ont traversé et traversent encore le canal de Suez; ils sont arrivés, ils arrivent tous les jours en France, et c’est un spectacle singulier de voir ces enfans de l’Asie venir, à l’appel de la nation qui a le plus contribué avec nous à répandre la civilisation dans le monde, défendre à sa source même cette vieille civilisation mise en péril. Quant aux Canadiens, nous les regardons un peu comme des frères et nous ne sommes pas surpris de les voir accourir. Nous n’avions pas prévu que ce mouvement serait aussi général, qu’il viendrait de si loin, qu’il apporterait jusqu’à nous des