Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

développement qui va jusqu’à la mer, si bien que la flotte anglaise a pu nous donner son concours en tirant sur la droite allemande avec ses canons à fort calibre et à longue portée. Il est impossible, comme le dit un de nos communiqués officiels, que sur un front aussi étendu il ne se produise pas quelques ondulations ; nous avons perdu un peu de terrain sur quelques points, nous en avons gagné sur d’autres; dans l’ensemble, notre résistance est restée inébranlable. Combien d’heures, combien de jours encore durera la bataille, nul ne peut le dire, mais il suffit qu’elle se prolonge pour se terminer à notre avantage. Nous sommes loin, en effet, d’avoir épuisé toutes nos ressources, tandis que l’ennemi semble bien avoir mis en ligne toutes celles dont il peut disposer actuellement. Parmi les prisonniers que nous lui faisons, il y en a qui sont trop jeunes, d’autres trop vieux : ce sont là des symptômes significatifs ; ils permettent de croire que, dans cette guerre d’usure que se font les deux armées, ce n’est pas la nôtre qui est le plus usée des deux.

Et enfin un autre élément doit entrer en ligne de compte quand on calcule les chances probables des deux adversaires : ce sont les plans qu’ils ont faits, les projets qu’ils ont arrêtés et essayé d’exécuter. Qu’on nous cite, si on le peut, un seul des plans de l’état-major allemand qui ait réussi. Ils ont tous abouti à des déceptions et à des échecs. Les Allemands ont gagné, à la vérité, une première bataille entre Mons et Charleroi, qui n’était pas dans leur plan primitif : nous ne nous y étions pas préparés, nous avons été pris à l’improviste, et notre échec nous a coûté cher sans doute, puisque nous avons dû reculer jusqu’à la Marne ; mais, à ce moment, la fortune a tourné et, depuis, ne nous a plus abandonnés. Nous le devons à nos admirables soldats et à l’impassible sang-froid de leurs généraux. Nous le devons aussi à nos alliés, qui ont combattu avec nous sur les mêmes champs de bataille et qui, Anglais et Belges, ont déployé des qualités militaires dignes de leur glorieuse histoire.

Faut-il l’avouer ? Il y a eu entre eux et nous un peu de surprise de se trouver mutuellement si grands et si forts. Nous n’attendions pas autant les uns des autres. Le journal le Times a exprimé ce sentiment dans un article qui nous a beaucoup touchés. On nous avait fait une mauvaise réputation dans le monde; on avait dit et cru que, chez nous, les fils n’avaient pas hérité des vieilles qualités de leurs pères ; les Anglais n’étaient pas à notre égard sans quelque méfiance. Qu’en pense aujourd’hui le Times? Laissons-le parler : « Il y eut des jours, dit-il, où, durant la rapide marche en avant de l’armée allemande,