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S’enhardit et, soudain, éblouissante et nue,
Fleur de pourpre impudique incendiant la nue,
Renouvelle au-dessus des bois houleux et verts
Le geste d’Aphrodite éclose au cœur des mers.


LE VIEUX CANON


C’est un très vieux canon de bronze ; oublié là,
Il s’étale, à demi caché, dans l’herbe haute.
Jadis, près de ce bois qui se dresse à mi-côte,
— Les siècles et la mousse ont couvert tout cela, —
Mêlant les régimens dans leur funèbre couche,
La Mort avait passé, moissonneuse farouche.
Pendant trois jours, le vieux canon avait rugi,
Bondi, craché le feu, comme pour une fête :
Puis, vers le soir, sentant que sa tâche était faite,
Chaud du sang qui coulait sur son affût rougi,
Le Monstre s’était tu. L’Ombre des nuits géante,
Le Silence envahit cette gueule béante…
Parfois, quand un rayon l’illumine en passant,
Le métal jette encor comme un reflet de sang !
Mais voici qu’alentour, de mille autres suivie,
S’élève la rumeur multiple de la vie,
Bourdonnemens d’abeille, appels clairs du grillon,
Fourmillement du sol, aile de papillon,
Goutte d’eau suspendue au brin d’herbe qui tremble,
Tout vibre autour de lui, chante ou palpite ensemble.
Alors comme grisé de parfums, de couleur,
Lui, le broyeur de chair, le sinistre hurleur
Sous l’invisible archet du vent qui se rapproche
Exhale dans le soir un son très doux de cloche,
Et du bronze à la fois montent dans l’Infini
Le murmure du monstre et la chanson d’un nid !…


FLUCTUAT, NEC MERGITUR


Sous un ciel blême et froid, chargé de lourds nuages,
Où des vols de ramiers entre-choquent leurs cris,
Flagellé par les vents, gonflé par les orages,
Le fleuve déchaîné route à travers Paris.