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heure. Un peu plus loin, il lit ou croit lire « sur une espèce de socle » quelques lettres à demi effacées : λασμ (lasm). Faut-il rétablir γέλασμα (gelasma) ? se demande-t-il avec le plus grand sérieux. Il plairait à son ironie de retrouver « l’autel du Rire subsistant seul au milieu de Sparte ensevelie. » cette conjecture épigraphique m’enchante : elle ne nous montre pas seulement l’autel du Rire sur les ruines de Sparte, elle nous fait entendre le rire même de Chateaubriand sur sa pacotille archéologique.

Moins ironiquement, et avec une très juste intelligence de sa valeur, il avait dit dans la première préface de l’Itinéraire : « j’allais chercher des images, voilà tout ; » et dans une note de la troisième édition, il dira, en une formule plus précise encore et plus nuancée :


Au reste, je ne sais pourquoi je m’attache si sérieusement à me justifier sur quelques points d’érudition ; il est très bon, sans doute, que je ne me sois pas trompé ; mais, quand cela me serait arrivé, on n’aurait encore rien à me dire : j’ai déclaré que je n’avais aucune prétention ni comme savant, ni même comme voyageur. Mon Itinéraire est la course rapide d’un homme qui va voir le ciel, la terre et l’eau, et qui revient à ses foyers avec quelques images nouvelles dans la tête et quelques sentimens de plus dans son cœur.


Il est impossible de mieux dire. Quel dommage que l’Itinéraire, tel que nous le lisons aujourd’hui, ne soit plus simplement le rapide récit de cette « course rapide. » Il l’a été d’abord, nous le savons ; il l’était encore en 1810 ; le besoin d’argent et les exigences du libraire ont obligé cet amateur à s’empâter d’érudition. Mais, pour qui sait lire, et surtout ne pas lire, il est facile de secouer tout ce bric-à-brac archéologique, et de retrouver en dessous, avec le simple journal du voyageur, les larges tableaux du peintre.

Il s’était proposé, nous dit-il, de « donner à la peinture des lieux célèbres les couleurs locales. » C’est la première fois, si je ne me trompe, que cette expression de couleur locale apparaissait sous une plume française ; et il était difficile d’illustrer un mot, qui devait faire fortune, par des exemples plus révélateurs. Non que Chateaubriand ait épuisé dès l’abord le contenu esthétique de ce mot-programme. Si parfois il a eu recours à la langue du peintre pour rendre « les tons chauds » de l’Orient, s’il a senti plus qu’aucun autre l’admirable splendeur dont la lumière enveloppe tout ce qu’elle dore, il n’a pas voulu occuper