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doute, attendaient son hôte pour les jours suivans. Celui-ci, qui semblait écouter, ripostait par des vers de Virgile, d’Homère ou d’Horace,.et par des versets de la Bible. A parler de ces choses, son imagination s’enflammait : il était heureux. Ce plaisir lui suffisait ; et il terminait la conversation en demandant ses chevaux pour le lendemain, dès l’aurore. Stupeur d’Avramiotti. « Ce serait un crime, s’écriait-il, d’être venu jusqu’à Argos et de ne point la visiter. » L’autre, bon garçon malgré ses airs cavaliers, se laisse faire : il prolongera d’un jour.


Le lendemain, il se rend au château ei déclare n’avoir jamais admiré panorama plus vaste. Sur quoi, raconte Avramiotti, je lui réplique que les généraux seuls se contentent de regarder le terrain d’une hauteur pour disposer leur troupes, ou encore les peintres pour dessiner un paysage ; mais l’érudit recherche toutes les pierres, toutes les inscriptions, et confronte les textes avec ses remarques. Il me répond que la nature ne l’a point fait pour ces études serviles, qu’une hauteur lui suffisait pour réveiller dans sa mémoire les riantes images de la fable et de l’histoire. Et la réponse était juste, ajoute Avramiotti. En planant au-dessus de l’Olympe et du Pinde, il place à sa fantaisie les villes, les temples, les édifices… Je conseille ensuite à notre voyageur de se rendre au théâtre. — Je l’ai vu en arrivant. — Avez-vous remarqué ces sièges creusés dans le roc, son fondement de structure grecque, l’édifice de construction romaine ? — Je ne me suis pas détourné de mon chemin pour de pareilles minuties ; ce que j’ai vu de loin me suffit. — Mais, monsieur, vous ne ressemblez pas aux autres voyageurs ; ils ne ménagent ni fatigues, ni dangers, ni argent pour voir une ruine. Excusez-moi si j’ose vous dire que cette excursion vous était inutile ; elle ne vous procurera qu’une fièvre pour tout l’hiver. — De tout cela, poursuit Avramiotti, il était aisé de conclure qu’il voulait toucher matériellement les lieux fameux de l’antiquité, mais non point les connaître.


O poète, vous avez encore plus scandalisé qu’irrité le docte Avramiotti ; et vous sentirez durement sa rancune d’archéologue. Si, plus tard, vous avez lu son aigre pamphlet, vous avez dû sourire. C’est vrai, « vous n’êtes pas un voyageur comme les autres. » Vous demandez seulement à de nobles paysages de nourrir votre rêverie, d’accueillir vos réminiscences, et de leur offrir un cadre digne d’elles. Vous avez bien répondu à ce gratteur de pierres : « vous n’êtes pas fait pour ces études serviles. » Mais pourquoi allez-vous si tôt oublier le serment du château d’Argos ?

En quittant à regret, sur la frontière grecque, le voyageur qu’il avait poursuivi de sa critique tenace, Avramiotti souhaitait