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rappelle sa mésaventure dans les Mémoires, et il ajoute : « Julien raconte aussi l’accident, et il fait, à propos des routes et des chevaux, des remarques dont je certifie l’exactitude. » Là-dessus, il copie quelques lignes de l’Itinéraire de Julien. Le texte en est bien exact, mais il est déplacé ; et c’est sur la route de Jéricho, en descendant vers la Mer Morte, que Chateaubriand a eu cet accès de sommeil un peu impertinent. Puisqu’il « certifie » lui-même « l’exactitude de Julien, » c’est Julien cette fois que nous croirons. S’endormir sur la route de Pergame, passe encore, mais sur la route de Jéricho, c’est d’un pèlerin que le respect et la piété tiennent insuffisamment en haleine ! L’épisode fut transposé par déférence pour les lieux saints.

Honnête Julien, tu n’as pas de ces pudeurs ! Tu dis les choses rondement, ingénument, sans penser qu’il faut sauvegarder l’honneur de la chevalerie française ! Et c’est sans malice aussi que tu donnes la date exacte de votre départ de Jérusalem : le 10 octobre. Monsieur dit le 13, parce qu’il juge peu décent de quitter la ville sainte après trois jours : il a peur de paraître un pèlerin trop désireux de partir ; et puis il sait tant de choses sur Jérusalem qu’il faut bien lui laisser le temps de les voir. Mais ici, Julien, tu as encore raison, et c’est Monsieur lui-même qui le certifie. Tu places, comme lui, au 16 octobre votre embarquement pour Alexandrie ; et, dans une autre partie de son Itinéraire, Monsieur a dit imprudemment : « Je passai cinq jours à Jaffa à mon retour de Jérusalem. » Il a bien passé cinq jours à Jaffa, et trois seulement à Jérusalem. Il ne sait même à quoi occuper dans son livre ces jours supplémentaires qu’il s’est octroyés rétrospectivement ; et c’est ce qui nous a valu cette promenade autour des remparts, un Tasse à la main, promenade fictive, où Sainte-Beuve, d’ordinaire mieux avisé, a cru pouvoir admirer « une belle critique de la Jérusalem délivrée faite en présence des lieux. »

Julien, qui a écrit son Itinéraire après celui de Monsieur, — Julien, l’historien sans fraude, sinon sans erreur, qui a rendu à la vérité ces ingénus témoignages, mais qui avait trop vif le respect des convenances pour contester ouvertement les dires de Monsieur, — est un contradicteur innocent et involontaire. Le docteur Avramiotti n’est point de cette race. Sa petite brochure[1]

  1. Alcuni cenni critici nel viaggio in Grecia che comporte la prima parte dell’ ltinerario da Parigi a Gerusalemme del signor F. A. de Chateaubriand. Padova, Bettoni, 1816.