Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impatience les momens. Du bord de mon navire, les regards attachés à l’Étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer. J’espérais en trouver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l’apporter à l’Alhambra.


L’aveu est encore enveloppé ; mais aujourd’hui nous en avons pénétré « le mystère. » Ce sont les « Madames » de René qui troublent le pèlerin sur la terre des prophètes, au tombeau de Jésus ; et le long pèlerinage de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris nous apparaît maintenant comme un détour sentimental, pour passer plus décemment, et aussi plus « glorieusement, » d’une de « ses Madames » à l’autre. « Il part, disait la pauvre Mme de Custine, pour remplir ses vœux et détruire les miens. » Elle ne croyait pas si bien dire, la charmante petite femme que le chevalier de Boufflers avait nommée « la reine des roses. » Ce n’était pas seulement la « chimère de Grèce ». qui était sa rivale. Une autre, à l’Alhambra, allait plus douloureusement encore « détruire ses vœux. » Mme de Chateaubriand, moins amoureuse, était plus fine que la châtelaine de Fervaques, et ses inquiétudes plus précises. Quand elle s’était vue congédiée à Venise, elle avait compris que, dans ce refus, il entrait de la sollicitude, mais aussi de la discrétion. Sans nouvelles de son pèlerin, elle écrivait anxieusement a Joubert : « Pour moi, je meurs de crainte, je meurs de désespoir…, je meurs de tout…, Aurait-il oublié Jérusalem ? Je n’ose m’en flatter ; je n’ose même le désirer. » Ces petites lignes sont cruelles. Mme de Chateaubriand ne s’illusionne pas sur la dévotion de son mari. Comme elle est bonne épouse, elle préférerait un risque de moins ; comme elle est une épouse digne, elle redoute un scandale de plus. Mieux vaut encore que l’auteur du Génie et des Martyrs aille au moins toucher le saint tombeau, plutôt que de promener sans vergogne, du Parthénon aux Pyramides, un cœur assoiffé de gloire, parce qu’il est affolé d’amour.

Nous la connaissons, la dame de l’Alhambra. Pauvre Nathalie de Noailles ! La folie qui la guettait, comme Lucile, apportera plus tard à René je ne sais quel remords ou, du moins, quel émoi, et arrêtera un instant ce cœur frivole dans un frisson d’épouvante. Mais, à l’Alhambra, elle n’était encore que la femme vive et gaie, dont le rire, les chansons, « les grâces dansantes » ensorcelaient René et lui faisaient mal à force de lui faire plaisir. « Jours de séduction, d’enchantement et de