Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pages, où l’auteur a essayé de rendre à Jérusalem la place maîtresse qu’il disait lui réserver dans son cœur : elles forment dans le récit comme une enclave de tristesse et de lassitude. Sitôt qu’il a vu le profit du Carmel émerger des flots, il s’est senti « rempli de crainte et de respect ; » à peine a-t-il mis le pied sur le sol de Judée, « d’abord, dit-il, un grand ennui saisit le cœur. » Ce d’abord est inexact : l’ennui ne l’a pas quitté en Terre-Sainte. Cependant, je ne dis pas pour un chrétien, mais même pour un poète, qui frémissait si délicieusement aux seuls noms consacrés par la gloire, qui ne pouvait s’endormir dans sa chambre de Modon, parce qu’il se disait que c’était le vent de l’Elide qui passait sur le toit, et que c’étaient les chiens de Laconie qui aboyaient dans la plaine, — n’était-ce rien de traverser le torrent du Cédron, d’errer dans la vallée de Josaphat, de contempler la Mer Morte du haut de la montagne des Oliviers ? Mais il semblerait qu’alors tous ces grands noms eussent perdu pour lui leur puissance séductrice.

En découvrant les côtes de la Grèce, il avait éprouvé un trouble d’extase, « une espèce d’enchantement qui ne s’était plus effacé. » Que de fois, sur ce sol où tout l’accueille tendrement, les larmes lui viennent aux yeux en contemplant la désolation présente et en évoquant la splendeur d’autrefois ! Sur les ruines de Sparte, « une sorte de surprise, un mélange d’admiration et de douleur » le saisit tout entier et arrête sa pensée.. Il ne se console point d’avoir manqué les ruines de Troie. Quand le navire va doubler le Château des Dardanelles, tout grelottant de fièvre, il se traîne sur le pont, pour contempler la virgilienne Tenedos, l’embouchure du Simoïs, les pentes harmonieuses de l’Ida ; et, « d’avoir eu le bonheur de saluer une terre sacrée, » sa fièvre le quitte pour vingt-quatre heures. Il ne se dit pas qu’il est d’autres « terres sacrées » qu’il ne saluera point ; il ne se plaint pas de n’avoir vu ni Nazareth, ni les prairies de Galilée, ni les rives du lac de Tibériade. Qu’y aurait-il senti ? Devant le Saint-Sépulcre, il cherche en vain ses sentimens : « Je ne puis réellement les dire, avoue-t-il, je ne m’arrêtai à aucune idée particulière. » Même sécheresse d’âme dans la grotte de Bethléem : il en regarde les murs comme on fait de ceux d’un musée, avec une sensibilité lointaine et presque absente : « Rien n’est plus agréable et plus dévot que cette église souterraine, elle est enrichie de tableaux des écoles italienne et