Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant. J’apercevais même, dans son ardeur pour ma défense, le risque d’une attaque sournoise et la pointe d’un autre danger. La Reine en riait sous l’éventail et disait que cette révolution bouffonne se terminerait par mon mariage. Elle-même n’allait pas tarder cependant à inspirer un dévouement plus romanesque encore que celui dont j’étais l’objet.

Elle avait commandé sa voiture pour trois heures, le samedi gras, et n’attendait plus que l’instant de sortir, quand un jeune homme inconnu se présenta à la porte et, sur sa bonne mine, sur son insistance, parvint à se faire recevoir. Il apportait la nouvelle que des troubles allaient éclater sur le Corso et suppliait la Reine de ne pas s’aventurer hors de sa maison.

Un ordre du gouverneur, qu’on venait d’afficher, enjoignait de suspendre immédiatement tous les divertissemens du carnaval, et déjà le public, moins peut-être par discipline que par timidité, avait obéi. Le Corso, avec ses balcons décorés et ses estrades dressées, restait parfaitement vide. En regardant par les fenêtres, nous vîmes dans ce désert deux promeneurs seulement qui, nous apercevant à leur tour, s’empressèrent de monter auprès de nous ; c’étaient M. de Bressieux et Mme Horace Vernet.

Les Russes, nous dirent-ils, se réunissaient à leur ambassade ; parlant tous notre langue et craignant d’être pris pour des Français, ils arboraient leur cocarde nationale. M. Vernet avouait avoir fait quitter la nôtre aux hommes de sa maison. Parlant des préparatifs de résistance faits à l’Académie, elle n’alla pas jusqu’à nous offrir de nous y réfugier. M. de Bressieux, au contraire, s’informant du secours sur lequel nous pourrions compter, s’est ému d’apprendre que nos deux domestiques étaient malades : l’un dans son lit, avec la rougeole, l’autre dans le sien, avec un rhumatisme. Tout aussitôt, avec une galanterie chevaleresque, il a offert ses services à la Reine, qui les a acceptés sans façon.

Ayant donc reconduit Mme Vernet chez elle, il est revenu de bonne heure, nous annonçant son camarade de voyage, M. Hesse, grand garçon de vingt-quatre ans à fraîche figure et, dit-on, peintre de talent. Ils traversaient ensemble l’Italie à pied et s’apprêtaient justement à partir pour Naples, si leur bon cœur et les circonstances mauvaises ne les avaient pas retenus ici.

La mère de M. de Bressieux a été dame d’honneur chez Madame Mère ; lui-même a été page de l’Empereur. Il est