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capitale qui, disait-il, était inévitable, à moins qu’on n’eût recours aux moyens qu’il indiquait. Diverses personnes s’étaient réunies pour acheter le geôlier et préparer une évasion, mais il manquait 20 000 francs qu’on ne savait où trouver. C’était là la somme qu’on osait demander à la Reine et au prince Eugène. La lettre, parfaitement bien écrite, était accompagnée d’une autre signée du marquis de Lavalette, et recommandait le solliciteur comme un homme honorable et désintéressé. Par une analogie attachée au nom même du marquis, le projet soumis à la Reine rappelait cette romanesque évasion du général de Lavallette, dont Emilie de Beauharnais avait été l’héroïne et qui, contre toute vraisemblance, avait réussi.

Ces considérations pesèrent sur l’esprit de la Reine. Pressée par le temps et n’espérant pas pouvoir correspondre sur ce sujet avec son frère, elle prit un de ses diamans d’une valeur au moins égale à 20 000 francs, et l’expédia sur l’heure à l’adresse indiquée. Le cachet qu’elle avait mis sur la boite lui revint à quelque temps de là, par l’intermédiaire d’un banquier de Bâle ; elle put croire à ce signe que l’affaire était en bonne voie et que l’évasion de Mouton-Duvernet se préparait.

Sur ces entrefaites, on apprit le coup de main tenté le 5 mai par Paul Didier contre Grenoble, au nom de Napoléon II, et la répression sanglante de cette échauffourée faite par le général Donnadieu. La Reine n’avait pas été mise en cause par les journaux, et elle ne devait pas l’être, car elle était restée entièrement étrangère à cette équipée. Quelle ne fut pas sa surprise, en recevant par l’officieux de Bâle une lettre de ce même comte de Libri muette sur le compte de Mouton-Duvernet, pleine au contraire, sur les événemens de Grenoble, des détails les plus particuliers ! L’effet de ce factum, rédigé comme s’il faisait suite à d’autres de même nature, ne pouvait être que de compromettre la Reine, en la représentant comme mêlée à une intrigue à laquelle elle n’avait pris aucune part.

Elle donna l’ordre à l’officieux de n’accepter désormais aucune lettre de ce personnage. Le banquier répondit en avouant qu’il avait été joué et présentant une carte à payer de 10 000 francs. Sur la foi du cachet de la Reine, et d’après le contenu de la deuxième lettre, l’Italien rusé s’était présenté à Bâle comme un agent politique secret et avait réussi à se faire délivrer cette nouvelle somme. La Reine et le prince Eugène en