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revendications ensemble n’ont pesé que fort peu aux yeux du gouvernement de la Restauration. Les lettres patentes n’ont été enregistrées nulle part. Elles n’étaient apparemment qu’une pièce de chancellerie, délivrée pour la forme à l’empereur Alexandre, et protestée d’avance par ceux qui la signaient. L’escamotage en fut facile après les Cent-Jours. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie à Paris, assouvissait alors sur la Reine sa haine, corse pour tous les Bonaparte. C’était elle, disait-il, qui avait préparé le retour de l’île d’Elbe, mensonge dont Napoléon lui-même a fait justice dans ses dictées de Sainte-Hélène. Mais le roi Louis s’était hâté dès 1815 de vendre Saint-Leu à Jean Torlonia, duc de Bracciano, qui le céda presque aussitôt au prince de Condé. Cette vente désarmait la Reine, en consommant la prescription de l’acte sur lequel elle fondait ses réclamations. Le titre de duchesse lui en reste seul, et tout le monde le lui donne à Rome ; mais, pour que tout soit obscur et faux dans sa position, il a fallu que le roi Louis se fit appeler dans le même temps comte de Saint-Leu. Cette différence n’est due qu’au hasard et au manque de communications entre les deux époux. Mais elle marque entre eux un désaccord dont il n’existe par ailleurs que trop d’autres preuves et qu’il était inutile d’accentuer ainsi.

A la deuxième lecture, la Reine a approuvé mes projets de lettres. Elle s’accuse en soupirant de n’avoir pas eu la prévoyance de Madame Mère et de ne s’être pas pourvue à temps contre le malheur. Elle aurait préféré se soumettre sans murmure aux arrêts du destin, et ne pas suivre l’exemple ridicule de la Duchesse d’Angoulême, qui, en rentrant aux Tuileries, y réclamait son piano d’avant la Révolution. Mais enfin, la gêne qu’elle éprouve est son excuse, et aussi l’impudence inouïe avec laquelle les gens de son entourage l’ont volée et friponnée. Elle évalue à six cent mille francs l’argent qu’on lui a gaspillé lors de son départ de Paris en 1815. Un grand nombre d’officiers s’adressaient à elle ; elle a eu la satisfaction de sauver la vie à un général Ameilh, homme très distingué, qui était condamné à mort, et qui, par la suite, a perdu la tête, à force d’être persécuté ; mais elle n’a point réussi dans le sacrifice qu’elle a fait en faveur de l’infortuné Mouton-Duvernet.

Ce général avait été arrêté comme tant d’autres, au début de 1816. Un colonel italien, comte de Libri, était emprisonné à Lyon avec lui. Il écrivit à la Reine, en l’effrayant d’une sentence