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23 novembre.

Les conséquences de l’imprudence que la Reine a commise hier, en voulant me montrer Rome elle-même, et s’exposant toute la journée à une tramontane très aigre, n’ont pas été longues à se faire sentir. Ce matin, elle était si mal à l’aise que le docteur l’a condamnée à garder le lit toute la journée. Hortense Lacroix et moi, nous sommes succédé à son chevet.

Hortense travaille sous la dictée à cet ouvrage qui remplit les matinées de la Reine. Elle est spirituelle et fort instruite ; il est facile d’apercevoir qu’elle ne me voit pas d’un bon œil. La raison en est simple : Mme Lacroix, qui étouffe d’orgueil et de prétentions, aurait voulu que la Reine prit sa fille pour dame, ce qui n’est pas possible, la mère étant femme de chambre. Qu’on le veuille ou non, il y a des limites de convenances qui partageront longtemps encore les unes des autres, les diverses classes de la société. Voilà ce que Mmes Lacroix ne peuvent comprendre, et non seulement elles ne sauraient admettre la préférence qui m’a été donnée, mais, si j’en crois le Prince, Mme Lacroix va jusqu’à le supposer épris de sa fille, qui est laide, petite et contrefaite ; il rit aux larmes de cette idée bouffonne.

Mon service consiste en lettres, dont la Reine m’indique l’objet et la substance, qu’elle me laisse le soin de composer et qu’elle veut n’avoir qu’à signer. Celles d’aujourd’hui étaient difficiles à faire, et il m’a fallu les recommencer ; la Reine ne s’en est prise qu’à elle-même et m’a donné sur le sujet de plus amples éclaircissemens.

Il s’agit des réclamations qu’elle forme pour être payée des sommes à elle dues par le Trésor français. Cette affaire remonte à 1814 et trouve sa base dans la donation du douaire de Saint-Leu, constitué pour elle grâce à l’intercession de l’empereur Alexandre. Les lettres patentes lui en furent remises à la Malmaison, au lendemain de la mort de l’impératrice Joséphine, et ce fut Alexandre lui-même qui les lui apporta. Le titre de duchesse et une pension annuelle de 40 000 livres lui étaient accordés. Cet arrangement paraissait n’être encore que provisoire, car d’autres arriérés anciens lui restaient dus, et elle pouvait prétendre aussi à des compensations en échange des bois que l’Empereur avait attachés pour elle au domaine de Saint-Leu et que Louis XVIII reprenait. Mais toutes ces