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statut impérial selon lequel les jeunes princes de la famille ne devaient être élevés à Paris qu’après l’âge de sept ans. L’Empereur, par affection pour la Reine, empêcha qu’on ne fît à son neveu l’application de ses propres ordres ; mais il se plaignait souvent de tous ces tiraillemens, qui contribuèrent à la chute du royaume de Hollande et à l’incorporation de ce pays dans l’empire français.

Le roi Louis, ayant abdiqué en 1810, fit le plongeon et disparut aussi complètement du monde que s’il était mort ou s’il avait revêtu le froc pour se cloîtrer dans un couvent. On retrouva sa trace à Teplitz, puis à Gratz, où il vécut deux ans. Suivant là son penchant naturel à la sentimentalité, il écrivit : Marie, ou les Hollandaises, qui est le roman de sa propre vie et l’histoire de son mariage manqué avec Emilie de Beauharnais, devenue depuis la célèbre Mme de Lavallette.

Les malheurs de 1813 le firent reparaître ; il vint à Pont-sur-Seine, au château de Madame Mère, mais ce malade et ce lunatique ne pouvait plus être d’aucun secours à son frère : il le prouva en faisant la proposition étrange de retourner en Hollande, pour y reprendre ses anciens pouvoirs. En 1814, son rôle effacé fut d’accompagner Marie-Louise à Blois ; il prit le chemin de l’Italie après l’abdication de son frère à Fontainebleau. C’est de là qu’il intenta à sa femme, devant les tribunaux français, le procès par lequel elle se vit condamnée à lui rendre Napoléon-Louis. Depuis, le Roi n’a pas cessé de vivre tantôt à Rome, tantôt à Florence. Il a publié en 1820 trois volumes bourrés de documens sur la Hollande, dont l’Empereur a eu connaissance à Sainte-Hélène, et qu’il lui a expressément pardonnés par son testament. Touché depuis de repentir, Louis a réfuté l’histoire calomnieuse écrite sur son frère par sir Walter Scott. Je passe sur ses petits vers et sur ses petits écrits.

L’enchaînement de cette vie bizarre aurait suffi à m’inspirer des pensées mélancoliques, si par surcroit le paysage n’était devenu sans cesse plus sombre et plus désert, à mesure que nous approchions de Rome. Peu de villages, des huttes éparses, quelques chèvres broutant une herbe fanée et des broussailles desséchées : voilà tout ce qu’on retrouve dans ce Latium si fameux. Quant aux habitans, nous n’avons rencontré que des voleurs attachés ensemble par les mains ou couchés sur des