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le mot de « positif » que de s’en approprier le sens réel. M. Enriquez, professeur de mathématiques à l’université de Bologne, est, de plus, un philosophe très exercé, — esprit original, subtil et hardi, — très libre penseur du reste (c’est un israélite). Or il estime que la prétendue positivité de M. Ardigo n’est autre chose qu’un simple empirisme emprunté d’un bout à l’autre à la biologie (le fondateur même du positivisme dirait : à une biologie amputée des problèmes supérieurs qu’elle laisse à sa suite et qu’elle n’a pas le moyen de résoudre avec ses méthodes à elle). Y a-t-il ici chez le savant mathématicien une nuance de dédain de la part d’un homme habitué à vivre dans le commerce des idées pures et dans la familiarité de l’absolu ? Il m’a un peu semblé le voir. Mais peu importe ! Le distingué mathématicien de Bologne a su mieux comprendre Auguste Comte. S’il a le droit de lui reprocher une regrettable insuffisance dans son étude de la connaissance, il sait très bien que l’intelligence positive des faits implique partout des groupemens soumis à une hiérarchie. Ce n’est pas dans la somme des faits juxtaposés que réside la valeur de la science. C’est dans la manière d’établir entre eux des subordinations. En allant plus loin, M. Enriquez déclare que, comme on ne peut réduire la physiologie à la physique, encore moins peut-on réduire la connaissance psychologique à l’analyse des faits psychologiques élémentaires : la synthèse scientifique, — sans synthèse, il n’y a que les matériaux de la science et pas de science, — ne peut s’obtenir qu’en ramenant les phénomènes à la domination de la pensée, non en réduisant la pensée à son équivalent physiologique. Maintenant, il est permis de regretter que cet esprit si lucide et si vigoureux s’arrête là, qu’il ne veuille distinguer ni l’esprit métaphysique de l’esprit mathématique, ni la qualité de la quantité ; que, comme tant d’autres, il parle volontiers de visées plus élevées, de conceptions supérieures et de progrès, de l’intimité étroite de ces conceptions, mais sans donner aucun principe d’appréciation ni sur le but et sur la fin, ni sur les raisons qui font que tel concept doit être considéré comme supérieur aux autres. Epris avant tout de logique, il n’admet pas qu’on puisse spéculer sur l’existence d’un inconnaissable. Très croyant en la raison, il n’admet pas qu’on se défie d’elle et il craint que les célèbres doutes d’Henri Poincaré sur la valeur des grandes hypothèses ne couvent un certain danger de scepticisme et de