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Les Biran, — ou plutôt les Gontier, — étaient originaires du Limousin : ils vinrent s’établir en Périgord au XIVe siècle. Ils y occupèrent à maintes reprises d’importantes fonctions municipales : à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, deux Biran furent, durant de longues années, maires de Bergerac. Dans cette famille d’honnêtes bourgeois, — elle ne fut réellement anoblie que sous Louis XVIII, — le loyalisme monarchique, la préoccupation de la chose publique semblent avoir été une tradition constante. À cette tradition l’auteur du Journal intime a eu la générosité, et même le courage de ne point se dérober.

La vocation philosophique fut, en lui, extrêmement précoce. « Dès l’enfance, écrivait-il en 1823, je m’étonnais de me sentir exister ; j’étais déjà porté, comme par instinct, à me regarder au dedans pour savoir comment je pouvais vivre et être moi. » Et ailleurs : « Quand on a peu de vie ou un faible sentiment de vie, on est plus porté à observer les phénomènes intérieurs ; c’est la cause qui m’a rendu psychologue de si bonne heure. » Ce fut son père qui fut son premier maître. À quinze ans, on l’envoya compléter ses études au collège des Doctrinaires, non pas à Toulouse, — où Joubert fit les siennes, — mais à Périgueux. À dix-neuf ans, il vient à Paris et s’engage dans les gardes du corps. Il était jeune, ardent, curieux, « sensible ; » il oublia vite la philosophie, et les austères directions de ses premiers maîtres. Dans ce Paris un peu fou d’alors, il mordit gaiement à tous les fruits de la vie. Il écrivait dix ans plus tard, en 1794 : « Ce que le monde nomme plaisir, je l’ai goûté dans toute son étendue… Je croyais jouir de la vie. Insensé que j’étais ! j’allais à l’opposé du bonheur, je courais après lui et je le laissais derrière moi. Que les hommes sont aveugles ! Ils veulent absolument se rendre heureux par les passions, et ce sont elles qui troublent leur vie, en la remplissant d’amertume. » La franchise de l’aveu ne laisse rien à désirer. Très recherché dans le monde, excellent musicien, il ne dédaignait pas, à ses heures, de rimer quelques vers, d’ailleurs médiocres, dont il composait la musique. En voici quelques-uns, imités d’Anacréon :

Non, je ne veux plus brûler de ta flamme,
Amour. En vain tu prétends me charmer.
Fuis ! pour toujours je t’ai fermé mon âme :
J’ai trop souffert, je ne veux plus aimer.