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devenus si fréquens, prenne un engagement inconsidéré pour que la loi doive le consacrer ? Alors ce ministre est à lui seul le gouvernement tout entier, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; la délibération et le contrôle des Chambres deviennent inutiles ; il n’y a plus de parlement. Et, au surplus, qui ne voit le danger d’un pareil précédent ? C’est un encouragement à la grève, à la révolte de tous les autres fonctionnaires, qui sauront désormais comment ils doivent s’y prendre pour obtenir des augmentations de leurs traitemens, qu’elles soient justifiées ou non. On parle déjà de nouvelles menaces de grèves faites par les agens des postes, des télégraphes et des téléphones, des P. T. T. comme on les appelle. Il fallait s’y attendre. Que devient, avec un pareil régime, l’autorité d’en haut ? Que devient la discipline d’en bas ? La discussion, au Sénat, a été courte, mais vive. Le gouvernement n’y a brillé ni par la clarté de ses explications, ni par son courage : il a eu l’attitude qui convenait à sa faiblesse. M. de Selves a relevé éloquemment ce que cette complaisance avait de peu honorable pour le présent et d’inquiétant pour l’avenir. Peut-être dira-t-on que M. de Selves est suspect de modérantisme ; mais M. Milliès-Lacroix est un radical, un ami du gouvernement, un membre distingué de la majorité ministérielle : il n’a pourtant pas été moins énergique que M. de Selves dans sa réprobation, parce que, a-t-il expliqué, il ne s’agissait pas ici d’une question de crédit, mais d’une question de gouvernement et d’autorité. On ne pouvait pas mieux dire.

La discussion du budget était enfin terminée et les Chambres allaient se séparer, lorsque le Sénat a été appelé à voter de nouvelles dépenses que le gouvernement devait être autorisé à faire pour remédier à l’insuffisance de notre matériel militaire. Il s’est passé alors un de ces incidens inopinés qui se produisent quelquefois dans les assemblées et portent subitement leur émotion au plus haut degré. Le rapporteur, M. Humbert, sénateur de la Meuse, est monté à la tribune et y a fait un tableau lamentable de l’état dans lequel se trouve aujourd’hui notre matériel de guerre. A l’exception de notre artillerie, qui est encore, pour quelque temps, supérieure à la sienne, nous serions inférieurs à l’Allemagne sur tout le reste. Ces allégations sont certainement exagérées ; mais qu’elles contiennent quelques vérités de détail, il faut bien le croire, puisque le ministre de la Guerre l’a reconnu. Aussi l’impression a-t-elle été très vive ; elle a gagné le public comme une traînée de poudre et pendant quelques jours la presse n’a pas parlé d’autre chose.