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encore vue, le vieil empereur a prise devant l’histoire et devant Dieu. Il ne s’agit plus, et personne ne s’y méprend, de châtier la mort de l’archiduc François-Ferdinand et de la comtesse de Hohenberg ; le crime de Serajevo n’est plus ici qu’un prétexte ; l’entreprise autrichienne a une portée beaucoup plus générale qui met en cause la paix de l’Europe. On n’a pas pu s’y tromper à Vienne ; on ne s’y est pas trompé ailleurs. Si l’Autriche s’était lancée dans cette aventure sans s’être assurée du concours de l’Allemagne, ce serait démence, et si elle s’est assurée de ce concours, nous n’avons pas besoin de dire combien la situation est dangereuse : tout le monde le sent.

M. le baron de Schœn, ambassadeur d’Allemagne à Paris, a fait une démarche auprès de M. Bienvenu-Martin, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères intérimaire, pour lui dire : 1° que son gouvernement approuvait, dans le fond et dans la forme, la note adressée par l’Autriche à la Serbie ; 2° qu’il espérait que la discussion resterait localisée entre Vienne et Belgrade ; 3° que si une tierce puissance intervenait dans la discussion, il pourrait en résulter une grave tension entre les deux groupes de Puissances qui existent en Europe et que les conséquences en seraient incalculables ; mais l’abstention de certaines Puissances, en présence de l’acte qui se prépare et déjà s’accomplit, en entraînerait qui ne le seraient pas moins. La démarche de M. de Schoen rappelle un peu celle que l’ambassadeur d’Allemagne en Russie a faite auprès du ministre russe des Affaires étrangères au moment de l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie. Elle a réussi alors, mais les circonstances sont changées et les mêmes moyens ne produisent heureusement pas toujours les mêmes effets. L’a-t-on senti ? On s’est appliqué, après coup, à atténuer l’effet produit. M. de Schoen est revenu au quai d’Orsay et a invité M. Bienvenu-Martin à chercher avec lui quelque moyen de conciliation. Une note de l’agence Havas a déclaré « qu’il résultait d’informations provenant d’une source autorisée qu’il n’y avait pas eu entre l’Allemagne et l’Autriche un accord préalable à l’envoi de la note adressée à la Serbie. » Nous sommes bien aises de l’apprendre : pourtant, que nous importe, si l’Allemagne approuve l’ultimatum autrichien ? L’information n’a plus qu’un caractère anecdotique. Ce n’est pas un ultimatum que l’Autriche a envoyé à la Serbie, dit encore la note officieuse, mais « une demande de réponse avec limitation de temps. » En bon français, n’est-ce pas la définition même d’un ultimatum ? Enfin la note assure que l’attitude de l’Allemagne « a été inexactement représentée comme comportant une menace » et qu’elle « doit être