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réclame en vain depuis six mois, qu’il se décide alors à rompre les négociations dilatoires qu’il entretenait depuis le même temps sur l’affaire spirituelle. M. Albert-Petit a fait litière de tout cela.

Pour mieux blanchir Pie VI et pour noircir les Constituans, rien ne lui coûte. Pas plus qu’il ne daigne retenir ni même mentionner les motifs tout politiques que le Pontife a fait valoir jusque dans ses actes officiels pour condamner l’œuvre de la Constituante, il ne "daigne s’arrêter à l’action très efficace qu’ont exercée sur lui et les émigrés d’une part et les puissances catholiques de l’autre. Le mémoire que la Cour d’Espagne lui fit remettre par d’Azara le 4 janvier 1791 est pourtant une pièce capitale qu’il est impossible de ne pas prendre en considération puisqu’on voit le Pape s’en inspirer à la fois dans ses brefs sur Avignon et dans ses brefs sur la Constitution civile. L’action de l’Espagne n’était pas isolée, puisque, dès le mois de septembre précédent, Bernis notait dans sa correspondance que les autres États catholiques intervenaient à Rome dans un sens contraire aux vues françaises. M. Albert-Petit n’a pas pris garde que le Pape de ce temps n’était pas seulement un souverain spirituels

Quant à l’action des émigrés, elle était si peu niable que Boisgelin lui-même écrivait au Roi le 3 décembre que le Pape se laissait influencer « par les bruits de Turin. » Qu’aurait-il dit s’il avait connu la correspondance qu’échangeait au même instant Vaudreuil avec le Comte d’Artois ?

Pour prétendre que le Pape ne fut guidé que par des considérations religieuses, il faut vraiment se refuser à l’évidence. M. Albert-Petit passe complètement sous silence l’attitude qu’avait tenue Pie VI dans un conflit très semblable à celui que fit naître la Constitution civile du clergé. Quand Catherine II avait annexé sa part de Pologne, elle avait remanié, de sa propre autorité, les circonscriptions des diocèses. Elle avait créé en 1774 le siège épiscopal de Mohilev et en avait étendu la juridiction sur tous les catholiques latins de son empire. De sa seule autorité encore, elle avait pourvu ce siège d’un titulaire, l’évêque in partibus de Mallo, personnage suspect à Rome, et elle avait fait défense à l’évêque polonais de Livonie de s’immiscer dorénavant dans la partie de son ancien diocèse annexée à la Russie. Pie VI, qui se montrera si intransigeant vis-à-vis de la Constituante, dont les empiétemens ne seront pas