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l’une, qu’ils ont manquée, n’empêche pas que les autres soient jolies ou admirables. Mais la continuité d’une œuvre met en architecture chacun de ses élémens : l’un, qui faiblit, menace de ruiner le reste. Or, au cours de cinquante volumes et à mesure que se développe, s’enrichit d’exigences nouvelles, s’épanouit l’âme d’un écrivain par la vertu même de la vie, que deviennent et l’instrument de son premier effort et les bases qu’il a jetées pour l’édifice lent à bâtir ? Dure angoisse ! et pathétique, dans ces longues œuvres qui ont des dimensions de cathédrales. Et quelle angoisse, plus terrible que jamais au moment de poser, je ne dis pas le clocher, mais l’un des clochers, sur les murailles et les tours, comme est le Démon de midi sur les cinquante volumes qui lui servent d’assises !… En peu de mots, voici ce que dut être, pour M. Bourget, la tribulation. D’abord, il était psychologue ; puis il fut moraliste. Et l’analyse, sa méthode, lui révélait ce qui est, non ce qui doit être. L’analyse constate : elle ne commande pas. Le romancier qui décrit les sentimens, qui en cherche le jeu secret, oui, l’analyse le mène jusqu’aux délicates vérités du cœur et de l’esprit. Le romancier qui s’est promis de juger son temps et d’en signaler les tares et, le diagnostic établi, de formuler le remède, celui-là peut craindre que l’analyse le laisse dépourvu.

Le remède, on sait où M. Bourget le découvre : dans la règle catholique. Eh bien, s’il a conscience que la méthode psychologique ne l’a point trahi, c’est que la nécessité de la règle catholique lui apparaît comme le résultat même de l’analyse, et non comme un expédient pris ailleurs. Il a examiné le cœur des hommes et des foules, le cœur des sociétés humaines : et il a vu que, là, — selon la précaution des savans, — tout se passait comme si les idées chrétiennes de la faute originelle, de la réversibilité des peines et de la Providence étaient, non seulement des dogmes, des faits. Il n’ajoute pas à la réalité la foi ; mais il tire la foi de la réalité. La foi, qui dérive de l’expérience : ce n’est pas toute l’apologétique de Pascal ; c’en est une bonne part.

Voilà, si je ne me trompe, comment le Démon de midi, roman dogmatique, se lie aux romans psychologiques de M. Bourget, les continue et, provisoirement, les achève. Voilà aussi comment s’y résout cette dualité que j’indiquais, du roman d’amour, plus sensible et alarmant que Mensonges, et du roman chrétien, pur, austère et impérieux.

A vingt ans, Louis Savignan s’éprit d’une jeune fille, Geneviève