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l’idée que nous avons de notre mission historique en ce monde, nous assurent nécessairement une estime et une affection spéciales. Il est certain que notre langue et notre culture exercent une attraction puissante sur les Égyptiens et sur les Orientaux en général. J’en ai eu parfois moi-même l’impression directe. Il en fut ainsi, notamment, le jour où, dans une ville de la Haute-Egypte je trouvai, dans une petite boutique, un jeune indigène qui s’évertuait, entre deux cliens, à ânonner quelques phrases de notre langue à l’aide d’un médiocre vocabulaire. Et comme je m’étonnais, lui demandant s’il tenait vraiment tant que cela à parler français, il me fit comprendre, les yeux brillans d’ardeur, que c’était parce qu’il voudrait connaître la France, parce que « les Francs » étaient bons, et que, au total, — suprême témoignage, — il donnerait volontiers 1 000 francs à quelqu’un qui pourrait lui apprendre vraiment bien le français. Je le vois encore, pour être bien sûr de me faire comprendre toute l’étendue du sacrifice qu’il était prêt à consentir, allant vers le coffret de fer où s’entassaient ses économies, et prenant la peine d’étaler sous mes yeux, d’un air décidé, les 40 livres sterling dont il ne jugeait pas trop cher de payer la possession de notre langue.

Sur celui-là, sans doute, sur d’autres encore que j’ai eu l’occasion de rencontrer, semblait opérer l’attrait sympathique. Mais il ne faudrait pas avoir trop d’illusions et mettre invariablement ce mouvement vers nous au compte de notre irrésistible force de séduction. Nous avons beaucoup d’amis en Egypte, c’est incontestable, — et plus, je crois, que tout autre peuple. Il en est donc ici beaucoup qu’entraînent leurs sentimens et leur cœur. Mais les raisons ne sont pas toujours celles-là. On ne peut pas, d’ailleurs, formuler un jugement en bloc, et l’analyse donne, suivant les cas, des résultats différens.

Pour les Arméniens, pour les Syriens, pour les Juifs même, persécutés dans le reste de l’Empire ottoman et devenus Egyptiens, oui, il s’agit en général de sentimens ; ils se souviennent que nous sommes les défenseurs des massacrés, les champions de l’Humanité, et que c’est de France que l’on a vu apparaître, lorsque les affaires tournaient mal, les cuirassés libérateurs. Dans les milieux cultivés, beaucoup vont au français, attirés par l’éclat et par la clarté incomparable de notre civilisation, et par son prestige mondain. Pour l’aristocratie égyptienne, enfin,