Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme tout ce qui lui appartient, est d’une grande élégance, sur la scène même, et fort en vue. La Reine, qui savait cela, portait une toilette brillante ; j’étais en blanc, avec des nœuds roses dans les cheveux.

La salle est grande, d’une forme gracieuse, et fort élégamment décorée ; contre l’usage italien, elle était largement éclairée par un beau lustre venant de Paris. La musique de la Donna del lago m’a paru très belle. Elle est de Rossini, et c’est tout dire ; mais la pièce est compliquée, et, pour la suivre, il aurait fallu plus d’attention que l’atmosphère orageuse de la salle ne permettait d’en consacrer au développement de l’action.

Le public ne songeait qu’à la cabale montée contre la débutante ; cette malheureuse (une jolie femme douée d’une très jolie voix) tremblait comme la feuille et perdait tous ses moyens. Enfin a paru Rubini, le héros du moment, le premier ténor de l’Italie, ce qui veut dire du monde chantant. Sa voix est vraiment d’un souplesse et d’une puissance admirables, mais j’ai souffert de cette fureur que les Italiens ont d’interrompre un morceau pour en faire redire ce qui plaît, puis de couper encore la marche du spectacle, en applaudissant à la fin de l’air, ce qui oblige les acteurs à des rentrées et a des saluts.

Dans l’entracte, la Reine a eu des visites, entre autres celle de la fille du prince Poniatovsky, mariée au fils de ce marquis Zappi à côté duquel j’avais dîné. Tous deux sont merveilleusement beaux. Elle a des cheveux blonds magnifiques, une jolie taille, des traits délicats, un ensemble délicieux, qui fait prendre en gré la coiffure à la chauve-souris.

Le second acte a été pour la donna un véritable supplice. On veut absolument la faire tomber, parce qu’elle prendrait la place de la femme de Rubini, l’idole du public, et qu’elle a le tort d’être protégée par le légat. Cette fois-ci, l’orchestre, conspirant aussi contre elle, n’a pas joué en mesure ; la pauvrette chantait les yeux pleins de larmes. Enfin est arrivée la fameuse cavatine de Rubini, désirée, attendue et accueillie par de véritables hurlemens d’applaudissement. On lui faisait répéter les passages goûtés, puis on a demandé la répétition de tout le morceau, ce qui est défendu par l’autorité. Pendant une heure entière, le tapage fut complet, on dut baisser deux fois le rideau. Finalement, la pièce ne put être achevée, à mon très grand regret,