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chiffonner) ceux de mes objets de toilette qui doivent être mis dans les coffres de la voiture, pour les temps d’arrêt du voyage ; le reste, dans le fourgon, gagnera Rome à petites journées avec les domestiques et les chevaux. La Reine n’emmène d’autre femme que Mme Cailleau ; elle retrouvera là-bas Mme Lacroix, sa femme de chambre des temps heureux, qui l’avait suivie en exil et dont le rôle est de garder l’appartement de Rome, avec tous les objets d’art qui le remplissent. Cet arrangement est fort commode pour Mme Lacroix et surtout pour ses deux enfans, dont l’éducation, commencée à Augsbourg, n’aurait pu s’achever en Suisse.

En montant en voiture, la Reine, qui s’occupe toujours du i bien-être de tout le monde, m’a donné une palatine à elle et une chancelière pour mes pieds. C’était le moment des adieux et de la désolation : Fritz, qui est sur notre siège, laissait sa femme ; M. et Mme Cailleau, leurs enfans. Mme Bure embrassait son grand nourrisson à cinq ou six reprises ; les larmes qui mouillaient son visage prêtaient à ses traits une grande douceur et montraient qu’elle avait été jolie ; l’Empereur, autrefois, ne s’y trompait pas ; quand elle lui apportait son neveu aux Tuileries, il ne manquait pas de la prendre familièrement par le menton. Le Prince regardait en soupirant son chien Fido, qui restait avec le fourgon ; Vincent, tout en émoi, nous recommandait la Reine ; Charles Thélin seul, dans sa livrée de courrier, partait fringant à cheval pour préparer gîtes et chevaux.

La Reine m’a conté qu’il avait commencé son service chez l’impératrice Joséphine ; de la Malmaison, il était passé chez le prince Eugène, d’où elle l’avait tiré pour se l’attacher. C’est un homme précieux pour moi ; c’est lui qui me donne de l’argent et reçoit mes quittances ; il a l’air, lui aussi, de me protéger, ce dont la Reine s’amuse beaucoup. Au troisième relais, au lieu de prendre un cheval, il a pris une carriole, qui, à dix pas, l’a culbuté dans un fossé. Il s’est relevé en riant et nous en avons été quittes pour la peur : fort heureusement, car je ne sais comment la Reine aurait pu se passer de lui.

Louise Cochelet nous attendait sur la route. Elle était descendue de son Wolfsberg pour embrasser encore les voyageurs. Tout en larmes, elle m’a recommandé de lui donner des nouvelles ; elle fera passer par moi ses lettres à la Reine ; mais il n’est pas certain qu’elle réussisse ainsi à tromper l’attention des polices italiennes, car si l’Autriche fait ouvrir la