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lui, aujourd’hui qu’il règne. Tout cela fait dire à M. Parquin que « nous avons les Tuileries à deux pas de nous. »

Veut-il exprimer par-là que des relations pourront se nouer entre le Prince et le nouveau gouvernement français par l’intermédiaire de notre aimable voisine, ou bien qu’elle espionnera Arenenberg et qu’elle en fera tenir les nouvelles à Paris ? Je ne sais, mais, si Louis-Philippe s’informe d’Arenenberg, Arenenberg voudrait être renseigné sur les dispositions de Louis-Philippe.

Après le diner, la Reine et le Prince causent à voix basse dans la bibliothèque, en feuilletant des lettres et des journaux. Il semble qu’en dépit de la saison qui s’avance, ils ne se décident à partir pour l’Italie qu’avec une sorte d’incertitude ou de regret. Pour me donner une contenance, j’examine les albums qui couvrent la table. L’un d’eux contient des intérieurs, des paysages, de petits sujets ; l’autre n’est rempli que de portraits. Le premier est dans la manière de Garnerai, l’autre dans celle d’Isabey. Ce sont là les deux maîtres préférés de la Reine ; elle tient de celui-ci le talent des ressemblances, la finesse et la justesse du coup de pinceau. M. de Turpin, qui fut longtemps son écuyer, a aussi dessiné avec elle, et, jusqu’à ces derniers temps, elle n’a pas cessé d’avoir un peintre attaché à sa maison.

Elle s’approche aimablement de moi et me nomme les personnes, à mesure que je tourne les pages. C’est sa nièce Joséphine, fille aînée du prince Eugène et femme du prince Oscar de Suède, fils aîné de Bernadotte. C’est Mlle de Courtin, « la belle aux cheveux dorés. » La Reine explique qu’après avoir été élevée à la Maison d’Ecouen, dont l’Empereur avait donné la direction à Mme Campan, Elisa de Courtin fut plusieurs années chez elle à Arenenberg. Casimir Delavigne, notre grand poète, la vit, l’aima, et parvint à l’épouser après plusieurs de ces péripéties comme il s’en rencontre toujours dans les mariages des filles sans dot. Sans cette passion, la belle n’aurait pas quitté le service de la Reine et je ne serais pas moi-même à Arenenberg.


Feldkirch, samedi 16 octobre 1830.

9 heures du soir.

On m’a réveillée ce matin à six heures, et il en était huit que nous n’étions pas partis. Mme Cailleau est venue prendre (et