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plaisante particulièrement en cette époque de l’année à cause de la verdure toute fraîche, mais un peu monotone et un peu trop semblable à elle-même, qu’on la traverse en se rendant de Douvres à Londres, ou de Londres à Oxford : toujours des prairies où paissent tantôt des chevaux, tantôt des bestiaux ; toujours des haies, des grands arbres qui étendent leurs branches en liberté ; parfois des champs de houblon ; très rarement des champs de blé ; presque point de villages ou d’habitations isolées. On dirait que cette campagne est vide d’habitans. A quoi s’occuperaient-ils en effet ? L’herbe de ces prairies n’a pas besoin d’eux pour pousser et les animaux se gardent tout seuls. On comprend que, pour l’Angleterre, la question du pain quotidien se pose d’une façon aiguë. Tous les jours il faut que, par mer, elle soit approvisionnée de blé et que de longs trains de marchandises déversent sur les quais des grandes gares les quintaux de blé ou de farine nécessaire à la nourriture des villes dont la population va s’accroissant, comme en France, au détriment des campagnes. Si une puissante flotte ne protégeait en temps de guerre ses bâtimens de commerce, elle pourrait rapidement être affamée, et, en temps de paix, rien ne la garantit contre les conséquences d’une grève combinée des grandes entreprises de transport. On comprend que cette situation préoccupe ses hommes d’Etat et ses économistes.

Après une heure et demie de trajet, nous arrivons à Oxford., Je ne m’étais pas trompé dans ma supposition. Sur le quai même de la gare, je suis abordé fort courtoisement par un des trois messieurs en chapeau haut de forme. Il m’explique qu’il est précisément chargé de recevoir les délégués étrangers. Il parle fort bien le français, mais, fidèle à la règle que je me suis imposée en Angleterre, je lui demande, ne fût-ce que comme une excellente leçon pour moi, de me laisser parler anglais, car j’ai souvent remarqué qu’on ne se déboutonne vraiment que dans sa propre langue et je tiens à ce que les Anglais avec lesquels j’entre en relations se déboutonnent avec moi, tandis que je ne tiens pas du tout à me déboutonner avec eux. La connaissance et la familiarité entre nous s’établissent d’autant plus facilement que mon aimable interlocuteur connaît beaucoup de Français, entre autres mes confrères MM. Boutroux et Bergson, et mon collaborateur, dans cette revue, M. André Chevrillon dont il apprécie comme moi les belles études anglaises. Aussi me