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gagner, tout meurtri, le ministère de la Guerre. Pietri, de même, retenu à la Préfecture de police, s’y barricadait et s’apprêtait à opposer une résistance désespérée aux révolutionnaires.

L’Impératrice ne s’enquit ni de Palikao ni de Trochu. Elle dépêcha à la Préfecture de police son chambellan Lezay-Marnesia, avec ordre de ramener Pietri. Devant cet ordre formel, Pietri s’inclina ; il laissa pour instruction à ses agens de déterminer leur conduite selon les circonstances et il traversa la foule sans être reconnu, dans une voiture de la Cour. Il trouva les ministres, les ambassadeurs, l’amiral Jurien, Conti, en conférence dans le cabinet de l’Impératrice sur le parti à prendre. Chevreau racontait les défections de la Chambre, en citant les noms principaux, l’envahissement, les mouvemens de la foule, l’inertie des chefs de l’armée ; Jérôme David affirmait qu’une colonne s’avançait vers les Tuileries par la rue de Rivoli ; la dynastie était perdue ; il ne restait qu’à mettre en sûreté la personne de l’Impératrice, afin que les révolutionnaires ne s’emparassent pas d’elle comme d’un otage.

L’Impératrice ne pouvait se résoudre à partir. « Croyez-vous, dit-elle, que j’aie rempli mon devoir jusqu’à son extrême limite, que je puisse me retirer avec honneur ? Si quelqu’un pense que j’aie quelque chose encore à faire, qu’il le dise, je suis prête à l’écouter. » A l’exception de Busson-Billaut, qui présenta quelques observations, tous répondirent : « Non, il n’y a plus rien à faire. » Que pouvait, en effet, l’infortunée, abandonnée par ses ministres, par la Chambre, par ses amis, par tout le monde, sauf par ses serviteurs intimes ? Dans les jours précédons, dans la nuit même, le matin encore, il y avait quelque chose à tenter, mais à cette heure, au fond des Tuileries, il ne restait qu’à courber la tête sous l’inexorable fatalité.

L’envahissement du palais allait certainement suivre plus ou moins vite celui de la Chambre. Il fallait opter entre un départ immédiat et une résistance armée à laquelle Mellinet ne se fût pas refusé. Mais la résistance armée, « personne depuis la veille n’en admettait même la pensée. » Le départ s’imposait donc. Pietri opina fortement dans ce sens ; Metternich mit une insistance particulière à le conseiller. Était-ce pour dégager sa parole et celle de son gouvernement ? Etait-ce par pure sympathie ? Nigra gardait le silence. L’Impératrice l’interpella. Il s’excusa sur sa qualité d’étranger de ne pas trouver un avis.