Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inventions ou perfectionnemens nouveaux, ou du hasard même, de la force majeure. Le risque est partout, il est dans la coopération comme dans les autres formes d’entreprise, inéluctable, irréductible ; il n’y a pas de garantie préventive qui le supprime, il n’y a pas d’assurance contre les pertes au bilan. Négliger cette inconnue dans la position du problème n’est pas faire disparaître l’a ; de l’équation. C’est, dit-on, la concurrence qui fait le profit. Eh non ! c’est le risque qui le fait, et qui le légitime, c’est le risque qui fait et qui fera toujours que le capital ne se prêtera qu’à bon escient, à un taux d’intérêt justement proportionnel au risque. Pertes et profits, ces deux contre-parties du risque, en sont inséparables, indestructibles comme lui : l’utopie est de penser que parce que, dans la coopération, les consommateurs associés se réservent a eux-mêmes le « surplus, » ils ont supprimé le risque et supprimé le profit. Ont-ils d’autre part aboli la concurrence ? Pas davantage. La concurrence, à vrai dire, est elle aussi irréductible, car elle est dans la nature des choses, elle est de l’essence de la société humaine et de la vie économique. L’abolit-on sur un point ? Elle reparait sur un autre. Chassez-la par la porte, elle rentrera par la fenêtre. La coopération, qu’elle le veuille ou non, vit, baigne, dans la concurrence, concurrence active ou latente. Et c’est tant mieux pour elle, car si le régime de la concurrence a ses duretés, ses abus, ses tristesses, — dura lex, sed lex, — il n’en est pas moins vrai qu’il est après tout l’une des meilleures formations des hommes, des caractères et des énergies.

Il est d’ailleurs curieux à noter que, dès à présent, les faits se chargent de donner un démenti à la thèse des utopistes qui prédisent l’abolition, par la coopération, du « capitalisme. » La coopération anglaise, au fur et à mesure de ses progrès, a pris en effet, de plus en plus, un caractère capitaliste ; elle n’a pu réaliser ces progrès qu’en abandonnant une partie de son programme originaire. Les grandes sociétés coopératives de Grande-Bretagne ont vu les fonds affluer dans leurs caisses par les dépôts de leurs cliens-sociétaires : ne pouvant toujours les employer, elles les placent, bourgeoisement, en bonnes valeurs mobilières et capitalistes. La société de Rochdale, la société-mère de la coopération, a placé, dit-on, deux millions de francs dans les chemins de fer, dans l’entreprise du canal de Manchester et autres grandes industries. Une statistique montre qu’en 1902, les sociétés