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comme c’est le cas ordinaire, elle ne se contente pas de répartir ses denrées entre ses membres, mais étend ses affaires à la vente aux tiers, c’est-à-dire au public, et ces tiers participeront même, habituellement, à la ristourne proportionnelle aux achats. Ajoutons enfin que la société n’est pas fermée, — autre différence avec les sociétés anonymes, — et que de nouveaux associés sont toujours admis moyennant retenue de tout ou partie de leurs bonis ou dividendes d’achats jusqu’à concurrence du montant des actions dont chaque sociétaire doit être possesseur. On voit tout de suite les avantages matériels que présente l’organisation coopérative dont nous venons de résumer les traits. Les consommateurs obtiennent des denrées sûres et de bonne qualité, à un prix modique ; ils font sur leurs achats des économies automatiques dont le produit leur est versé en fin d’année : ils vivent mieux, en épargnant davantage.

L’idée de la coopération est vieille comme le monde. Le fait même de la coopération est ancien : mais ce n’est qu’au XIXe siècle, en Angleterre, que la coopération a trouvé sa théorie raisonnée et son application en grand, et en Angleterre même G. J. Holyoake est certainement l’un des hommes qui l’ont le mieux servie. « J’ai connu, dit-il, la coopération à sa naissance. J’étais près de son berceau. J’ai soigné son jeune âge quand personne ne croyait qu’elle vivrait. Pendant des années, je fus dans la presse son seul ami, et j’ai assez vécu pour voir l’enfant grandir en vigueur et gagner l’âge de la virilité indépendante. » Il a lui-même raconté la naissance de la coopération anglaise, l’histoire de ces quinze pauvres vieux ouvriers tisserands du Lancashire, — les « pionniers de Rochdale, » — disciples d’Owen, et « sécularistes » pour la plupart, qui, un jour de novembre 1844, cherchant le moyen de relever leur condition, mirent en commun les quelques livres et shillings qui leur restaient afin d’organiser un approvisionnement en commun ; il a raconté comment ils réunirent quelques fonds, et comment, le soir du 21 décembre de cette année-là, au milieu des rires des gamins, des moqueries des boutiquiers, ils ouvrirent furtivement, dans la « ruelle du Crapaud, » un magasin coopératif qui, malgré les immenses difficultés du début, réussit assez vite et assez bien pour qu’on vît peu à peu se multiplier les sociétés analogues dans les villes environnantes. Chose curieuse, du premier coup, ces vieux tisserands trouvèrent et