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Les enfans eux-mêmes, sur les bancs de l’école, étaient tenus au courant des vicissitudes que subissait à travers le monde l’Évangile de la Réforme. « Sais-tu, dit au collégien Ambroise, dans un dialogue de Mathurin Cordier, son camarade Gratien ; sais-tu que l’Évangile est maintenant en Angleterre et que l’idolâtrie en est chassée ? — Oh ! bonne nouvelle, répondait Gratien. Glorifions ce très grand et très bon Dieu. » C’est ainsi que les petits Genevois de 1558 célébraient Dieu pour l’avènement de la reine Elisabeth. Genève ressentait les pulsations de l’Europe réformée, comme Rome celles de l’Europe catholique.

La puissance toute nouvelle, de création toute fraîche, qui portait le nom de Genève, jouait en Europe, grâce à Calvin, un petit rôle international que l’ancienne Genève n’avait jamais joué ; l’ « Église de Jésus-Christ » se haussait à certaines ambitions d’action politique, qui ressemblaient, de loin, à celles de l’Église romaine. On voyait Calvin travailler en 1549, d’ailleurs inutilement, à nouer une alliance entre la France et les cantons suisses protestans ; il devinait le parti qu’il pouvait tirer de la lutte des Valois contre la maison d’Autriche, et lâchait d’encercler par des alliances protestantes la politique de la France catholique ; il recommandait Genève à Coligny. Mais le fondement de cette puissance politique, c’était, encore et toujours, son prestige religieux, au nom duquel il conseillait les calvinistes des Pays-Bas ou de l’Ecosse, les souverains de l’Angleterre, ceux de la Navarre, et qui amenait une partie de l’Europe à demander aux échos de Genève la pensée de Dieu. Et Genève, glorieuse, se considérait comme une « merveille de Dieu, » et l’ami de Calvin, Michel Roset, présentant au Conseil, en 1562, le manuscrit de ses chroniques, rappelait que « Moïse commandait aux enfans d’Israël de réciter et d’enseigner à leurs enfans les miracles de Dieu, » que son livre était écrit « pour que les louanges-dues à Dieu ne fussent ensevelies. » Au terme de ses élans d’humilité, Genève remerciait Dieu d’être Genève.

Dans le Collège et dans l’Académie, dont Genève fut et demeure en quelque mesure la fille intellectuelle, se dessina pleinement la personnalité religieuse de la ville, avec ses instincts d’ombrageuse défensive, avec ses élans d’offensif apostolat. Sorte de caserne pour le service de Dieu, Genève, toujours en armes, veillera sur son collège ; et de là rayonnera sur l’Europe un évangile de guerre, un évangile antipapiste. En