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appelait le « talon d’Achille » du protestantisme. Calvin tenta de protéger ce talon d’Achille : « Autant vaut, comme si quelqu’un demandait d’où nous apprendrons à discerner la lumière des ténèbres, le blanc du noir, le doux de l’amer. Car l’Écriture a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches ou noires de leur couleur, les choses douces et amères de leur saveur. »

D’avance, dès le début de son Institution chrétienne, il avait d’ailleurs signifié quelle était la norme pour trancher les difficultés : « Je pense, écrivait-il, avoir tellement compris la source de la religion chrétienne et l’avoir digérée en tel ordre, que celui qui aura bien compris la forme de l’enseignement que j’ai suivi pourra aisément juger et résoudre ce qu’il doit chercher en l’Écriture, et à quel but il faut rapporter le contenu d’icelle. » Il avait revendiqué sa liberté à l’égard de l’Église romaine ; mais pour explorer les dédales de la Bible, la liberté des autres devait se soumettre à Calvin, — et non pas, encore une fois, à l’autorité de Calvin : il prétendait sincèrement n’en avoir aucune, — mais à la parole de Dieu elle-même, lue par ses yeux, commentée par ses lèvres, appliquée d’après ses gestes. Car durable était cette parole, et durable aussi la doctrine qu’il avait tirée de la Bible ; il n’en admettait aucune autre. Le seul fait d’avoir contesté l’inspiration du Cantique des Cantiques et la descente du Christ aux Enfers devait empêcher Castellion d’être pasteur à Genève. Chef d’une confession dans laquelle peu à peu la fermentation des expériences religieuses provoquera tant d’évolutions de consciences, Calvin devait, lui, au lendemain de sa mort, recevoir de Théodore de Bèze ce témoignage, que, « dans cette doctrine qu’il avait enseignée au commencement, il était resté ferme jusqu’à la fin, et n’avait rien changé : ce qui était arrivé, continue Bèze, à peu de théologiens. »

Il était théoriquement impossible, aux yeux de Calvin, que la parole intérieure de Dieu, retentissant au fond de chaque conscience genevoise, ne fit pas écho à cette parole extérieure contenue dans la Bible, et que Calvin présentait. Mais si l’écho discordait d’avec celui qu’avait ressenti Calvin dans sa propre conscience, c’était le Genevois qui avait tort, et l’honneur de Dieu exigeait que cette âme genevoise, mettant une fausse note dans l’harmonie des âmes soumises au Livre, fût solennellement