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le « royaume des grenouilles. » Il fut jeté en prison. Ainsi s’exacerbait le conflit. L’Etat voulait que Calvin distribuât la Cène, et Calvin s’y refusait ; l’État défendait que Calvin prêchât, et Calvin montait en chaire. Finalement, le 23 avril 4538, Genève rejeta Calvin ; on lui donnait trois jours pour disparaître et pour emmener avec lui son ami Farel.

Les Genevois allaient, à la façon de Berne, tenter de gouverner leur Eglise. Libérés de Farel, libérés de Calvin, leurs conseils allaient pouvoir jouer un rôle d’évêque, un rôle de pape, et, chez eux comme à Berne, le césaro-papisme semblait triompher. On croyait vivre sous le règne du pur Evangile, mais la distinction primordiale entre le domaine de César et le domaine de Dieu, cette nouveauté souveraine que l’Evangile avait introduite dans le monde, était oubliée, abolie. Quatre pasteurs se trouvèrent, pour accepter cette situation et pour dire humblement aux magistrats : « Selon l’ordonnance qu’il plaira aux Messieurs de Genève, nous ministrerons la Cène. » L’un d’eux, Jacques Bernard, était quelques années plus tôt cordelier : sa conscience et son verbe n’avaient secoué le joug de Rome que pour se soumettre au joug des bourgeois. De loin, Farel et Calvin méprisaient ces conducteurs d’âmes, devenus des esclaves. A propos de trois d’entre eux, Farel écrivait : « Il vaudrait mieux que l’Eglise fût complètement dépourvue de pasteurs, plutôt que d’être pourvue de pareils traîtres sous le masque de pasteurs. Il n’y a pas de jour où ils ne soient publiquement flétris pour quelque manquement, soit par les hommes, soit par les femmes, soit par les enfans. »

Messieurs de Berne, que Messieurs de Genève imitaient, avaient eu, pour asseoir leur Eglise d’Etat, des théologiens distingués : Genève n’en avait pas. L’embarras fut curieux quand on reçut une lettre du cardinal Sadolet, qui conviait les Genevois à revenir à la foi romaine, lettre très pacifique, où le cardinal avouait que son Eglise avait pu commettre des fautes, et proclamait avec d’autant plus d’ascendant les droits qu’elle tenait du Christ. « Que votre courage ne soit point changé, leur disait-il, si d’aventure nos mœurs vous déplaisent, ou si par la coulpe de quelques-uns la splendeur de l’Eglise, qui devait être perpétuelle et incontaminée, a été parfois rabattue et obscurcie. Vous pouvez bien haïr nos personnes, si cela est permis de l’Evangile, mais vous ne devez haïr la doctrine et la foi. » Cette