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ces magistrats, qui craignaient qu’au lieu de troupes auxiliaires Berne ne leur envoyât des huissiers.

Pouvait-on douter de la réponse des Bernois ? Nombre de prêtres et de religieux prirent tout de suite la route d’exil ; des familles catholiques les suivirent. Elles rejoignirent un premier ban d’émigrés qui, dévoués à la politique de l’évêque, s’en étaient allés quelques années plus tôt. Mais les premiers émigrés n’avaient été que des hommes de parti : les seconds étaient des consciences libres, qui trouvaient qu’une messe valait bien un exode, et qui laissaient leurs biens à Genève, pour aller au loin retrouver l’Eucharistie. « II était à craindre, dit l’historien Gautier, que par-là la ville se dégarnît trop d’habitans. Le départ de tant de monde fit beaucoup de peine au Conseil. » On aimerait évaluer le chiffre de ces fugitifs, l’histoire ici manque de précision. Jean Gacy, qui avait pris part à la dispute de Rive, et qui fut l’un des derniers prêtres à s’éloigner, prêtait une voix à la cité de Genève dans un petit poème qu’il intitulait mélancoliquement : Déploration, et la cité gémissait :


Les bons crestiens, dont j’avoye multitude,
M’ont délaissée, voyant la magnitude
Des hérésies, car, qui à l’ours s’allie
Il pert la foi, et prend pour le vin lye.


Parmi ces émigrans, il y eut une petite troupe que Genève ne vit point partir sans chagrin ; ce furent les Clarisses. Depuis un demi-siècle, elles s’efforçaient, par leurs mortifications, d’assurer aux bons prêtres l’aide de Dieu, et d’expier pour tous les autres, pour ceux qui ne gardaient pas bien leurs vœux et qui suscitaient son « ire. » Elles aspiraient à racheter, dans l’effacement du cloitre, les vices et l’ignorance de certains pasteurs des âmes, assez mal qualifiés, suivant les mots du vieil historien catholique Florimond de Remond, pour « protéger contre la tempête les troupeaux confiés à leurs soins. » Les événemens montraient à ces pauvres nonnes, — c’est leur prieure Jeanne de Jussie qui parle, — que « les bons religieux et religieuses devaient, comme les coupables, pâtir du secret jugement de Dieu. » Et les Clarisses, se résignant à cette souffrance suprême, se préparèrent à prendre congé de Genève. Genève les retenait, Genève leur était attachée, mais les pieuses filles tenaient à leur messe. Elles voulaient garder près d’elles la source unique de