Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne se brouiller, ni avec Berne, l’alliée protestante, ni avec Fribourg, l’alliée catholique. Mais les Bernois pouvaient parler plus haut que Fribourg, parce que Genève leur devait de l’argent ; et les Fribourgeois, vexés, finissaient, au bout de ce même mois de mars 1534, par rompre l’alliance. L’Evangile nouveau, qui frappait aux portes de Genève, et qui déjà les enfonçait, avait ainsi pour auxiliaires les soldats bernois et les thalers bernois, deux forces dont Genève ne pouvait se passer, impérieuses l’une et l’autre, chacune à sa façon. Parce que prêteurs d’argent et parce que prêteurs d’hommes, les Bernois demandaient audience pour leurs prédicans ; et leurs fourgons n’apportaient pas seulement des espèces monnayées, mais aussi des dogmes.

En face de cet assaut, que faisait la vieille Eglise ? Pierre de la Baume, s’effaçant dans une lointaine banlieue, ébauchait contre ses diocésains certaines tentatives militaires ; chacune de ces tentatives démantelait sa souveraineté spirituelle. Les évêques mérovingiens avaient conquis leurs ouailles en apparaissant comme les « défenseurs de la cité ; » Pierre de la Baume devait perdre les siennes, parce qu’on le considérait comme l’ennemi de la cité. Et les consciences, ainsi mises à la gêne, devenaient de plus en plus accessibles aux sollicitations de Farel, aux sommations de Berne. Si l’idée fût venue au chapitre de Saint-Pierre d’aider les Genevois à payer leurs dettes, les Bernois remboursés eussent perdu quelque chose de leur facile arrogance ; mais les chanoines laissèrent passer l’heure pour une telle tactique. L’hostilité militaire de l’évêque, l’abstention pécuniaire des chanoines, resserraient les liens, parfois pesans, dont Berne enlaçait Genève. Et dans ce tragique été de 1534, où, d’accord avec les Bernois, les citoyens de Genève fortifiaient leurs murailles, il y avait près d’eux, pour faire le guet, des prédicateurs de la Réforme, qui pouvaient leur montrer, au loin, surgissant comme une menace, les troupes de leur évêque, et les inviter, tout ensemble, à braver leur chef religieux et à craindre Dieu, leur chef unique. Les remparts nouveaux devenaient pour la doctrine nouvelle une sorte de tribune, plus efficace, si l’on en croit le réformé Froment, que les chaires où se donnaient les prêches. Les syndics, le 1er octobre 1534, s’en venaient dire au chapitre qu’ils considéraient le siège épiscopal comme vacant : entre Genève et Rome, le lien se distendait.