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bien, dans ses rues montantes et dans ses rues basses, les 6000 habitans qu’elle privait ainsi d’abri. Elle sacrifia tout à cet élan de défensive, même sa culture intellectuelle : le vieux collège catholique, fondé au XIVe siècle par le négociant François de Versonnex, devint une masse de décombres. Entre leur colline et leur ennemi, les Genevois faisaient le désert. C’est par ces actes d’immolation, c’est par ce demi-suicide, que commença la vie nouvelle de Genève : elle s’inaugura dans un grand fracas de démolitions, et nul ne prévoyait jusqu’où les démolitions iraient, et qu’après les faubourgs une Église allait s’effondrer.


I

À Genève comme presque partout, les origines de la Réforme sont complexes et troubles. L’ébranlement de quelques âmes mystiques coïncide avec une poussée de susceptibilités et d’intérêts politiques. La ville est divisée. Il y a des familles genevoises qui sont contre les libertés de Genève : elles appellent de leurs vœux le duc de Savoie, comme pacificateur et comme maître. Elles finissent par quitter la ville, par s’en aller auprès du duc, qu’elles espèrent bien ramener. La masse des Genevois vit dans les transes, veut rester libre ; elle quête depuis longtemps des alliés en Suisse ; elle en a trouvé dans le peuple de Fribourg en 1519, dans le peuple de Berne en 1526. Le premier de ces peuples a la même foi que Genève ; le second professe des opinions religieuses nouvelles, dont l’écho s’est peu à peu propagé, dans la petite cité du Léman, par des colporteurs, par des prédicateurs ambulans, par les soldats mêmes de la République bernoise.

Ces colporteurs chuchotent ou proclament que, pour faire son salut, on n’a pas besoin des prêtres, et qu’on doit aller directement à Christ. Ces soldats, dès 1530, durant une quinzaine qu’ils passent à Genève, montrent, par toutes sortes de sacrilèges, qu’ils ont cessé de craindre le clergé romain, et même le Dieu des « Romains. » Puis les prédicans surviennent, Farel, Saulnier, Froment : ils présentent, à ceux qui savent lire, un livre contenant les paroles du Christ : ils y soulignent certains passages, d’un certain accent. Leur geste est déjà un geste de commentateurs : ils estompent, ils écartent les textes