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termes du traité furent tenus secrets. On savait seulement que son but était le maintien de la paix en Europe, objet de la constante sollicitude du grand empereur pacificateur. »

Il a été dit, le 23 janvier 1903, à la Chambre des députés par M. Jaurès que cette alliance avait consacré le statu quo en Europe et qu’elle était une sorte de sceau mis sur les malheurs de la France. « Eh bien ! non, répliquait M. Ribot dans une inspiration vibrante, je ne puis pas laisser dire cela. Non, cette alliance n’a pas été conçue dans une pensée d’agression, mais elle n’est pas inspirée de l’esprit que vous voudriez voir se développer dans la Chambre. Nous n’y avons écrit à aucune page que nous avions confiance dans ces idées lointaines de l’établissement de la paix par le respect du droit, sans l’intervention de la force. J’ai dit, comme ministre des Affaires étrangères à cette tribune, qu’on ne pouvait pas nous demander de rien oublier. »Et, aux applaudissemens de la grande majorité de la Chambre, l’orateur ajoutait : « Je le répète aujourd’hui comme député, parce que si un pays, qui a été vaincu comme le nôtre, se prêche à lui-même des résignations trop faciles, il perd quelques-unes de ces chances de réparation auxquelles on faisait appel dans un magnifique langage. Il ne suffit pas de dire que le droit appartient à l’Alsace-Lorraine : il faut en même temps réserver, en restant forts, en ne les effaçant par aucune parole imprudente, toutes les chances que l’avenir peut nous réserver. » Et dans une revue saisissante du passé, M. Ribot se demandait si l’on n’avait pas à compter avec des surprises, avec des problèmes redoutables. On prêchait le pacifisme, mais, si pacifiques que nous désirions l’être, pouvions-nous attendre la revanche du droit, ou même la sécurité du pays, des théories éloquentes et nuageuses qui contenaient dans leurs flancs les plus cruelles déceptions ? L’Empire était pacifique avant 1870. Il ne voulait pas la guerre et, tout en ne la voulant pas, il commettait la faute énorme de ne pas tenir ses forces militaires en état, et subissait l’effet dissolvant de théories qu’on ne voyait pas, en 1903, reparaître à la tribune sans un certain émoi. Ce n’est que lorsque la France eut saigné sous le pied de l’étranger qu’on comprit le danger mortel de ces rêveries et de cette idéologie pernicieuse. Aussi, ceux qui, comme M. Ribot, avaient entendu ces déclamations et en avaient vu les douloureuses conséquences, s’étaient juré de ne pas oublier de telles leçons et