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placé aux Tuileries, Mellinet, un de nos plus solides divisionnaires. Tel n’était pas, au dire de Palikao, le général de Caussade, envoyé au Corps législatif, brave homme, âgé, lourd. Pourquoi, si on le jugeait ainsi, l’avoir mis dans un poste qu’il était incapable de remplir ? Ce choix du chef à mettre en tête d’une troupe en un jour difficile est une affaire majeure.

Le président de la Commission d’enquête parlementaire sur le 4 septembre a exprimé, sur cette façon sommaire de préparer une défense sérieuse, le jugement qui sera celui de l’histoire. Il dit à l’ancien ministre : « Tout cela a été fait bien légèrement ! — Très en l’air, répondit Palikao, les événemens étaient bien en l’air aussi. » A la bonne heure. Il n’y a rien à ajouter à un tel aveu.


Les préparatifs politiques ne furent pas moins en l’air que les dispositions militaires. Depuis le matin, l’Impératrice avait été assaillie d’amis dévoués qui, au nom de leur dévouement, lui conseillaient de n’être pas brave afin de leur laisser la facilité d’être lâches. Depuis plusieurs jours déjà, Emile de Girardin, qui, semblable à l’aumônier des dernières prières, portait à tout pouvoir en détresse le conseil de se suicider, proposait l’abdication. Guéroult, dans l’Opinion Nationale, s’étonnait que cet avis n’eût pas encore prévalu ; Lesseps, s’autorisant de ses liens de parenté, y poussait avec énergie. On ne peut pas dire que l’Impératrice s’y refusait. Si elle ne consentait pas à une abdication formelle, elle était disposée à l’équivalent. Elle le prouva en priant Metternich, l’ambassadeur d’Autriche, de renouveler auprès de Thiers la démarche faite inutilement la veille par Mérimée. Metternich fut pressant : « L’Impératrice, dit-il, avait toujours déploré qu’on eût arrêté Thiers au coup d’Etat ; elle n’était pour rien dans la manière dont on l’avait combattu à Paris ; c’est Persigny qui l’avait voulu ; elle était prête à renoncer à tout pouvoir en sa faveur et elle demandait ses conseils[1]. » Thiers répéta qu’après Sedan il ne savait plus quels conseils donner. Et il n’en résulta entre les deux interlocuteurs qu’un échange de réflexions fort tristes.

Cependant il fallait se décider à dire quelque chose au Corps législatif. Le Conseil des ministres, réuni le matin à huit heures,

  1. Lettre du 24 juin 1871.