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XXIV

L’odyssée des députés de la gauche vers l’Hôtel de Ville s’était achevée sans encombre parmi les omnibus, qui continuaient à circuler et les voyageurs qui saluaient joyeusement Jules Favre et son cortège. A l’Hôtel de Ville, ils avaient été presque portés dans la grande salle. Monté sur une des banquettes disposées au fond, Jules Favre prononce quelques paroles auxquelles répond le cri : « Vive la République ! » Des furieux voulurent lacérer les portraits de l’Empereur et de l’Impératrice ; Gambetta les fit retourner contre la muraille. Dans des coins, Delescluze, Millière et leurs acolytes péroraient et confectionnaient des listes de chefs d’Etat. Impossible de délibérer dans un aussi effroyable tumulte. Les députés se retirèrent dans une salle contiguë à l’ancien cabinet du préfet de la Seine. Deux ou trois fidèles montèrent la faction à la porte. Delescluze obtint d’eux la permission d’entrer. Mais presque aussitôt il sort, levant les bras au ciel : « Il n’y a rien à faire avec ces gens-là ! » En effet, pour en finir avec les compétitions, les députés avaient adopté une idée de Ledru-Rollin et décidé de placer au gouvernement les députés de Paris et ceux qui, nommés par Paris, avaient opté pour les départemens.

L’idée, fort peu libérale, fort peu démocratique, était pratique. Le gouvernement se trouva, en conséquence, composé de Jules Favre, Gambetta, Picard, Jules Simon, Crémieux, Emmanuel Arago, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Peffetan, Rochefort. Thiers seul manquait à la liste. « Ce n’est pas la faute de ses collègues, disait Nefftzer dans le Temps, mais l’illustre homme d’Etat a préféré s’effacer, tout en garantissant son meilleur concours. » Ordre était donné d’élargir Rochefort, mais l’ordre avait été devancé. Le nouveau membre du gouvernement, délivré par ses amis, arrive porté en triomphe, acclamé maire de Paris. Le gouvernement provisoire avait nommé à ce posté Etienne Arago. Rochefort se récuse ; Floquet, son camarade de collège, l’adjure de se joindre à ses collègues ; Ferry l’embrasse, l’entraîne dans le cabinet où siège le gouvernement et Rochefort accepte d’y rester. La police fut donnée à Kératry, les postes à Rampont, les télégraphes à Steenackers. Picard fut chargé de rédiger une proclamation.