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exagérés, mais elle a promis des sanctions immédiates contre les abus qui ont été commis et a proposé que des représentans de l’Europe assistassent aux enquêtes qui seraient poursuivies. Elle a fait une autre proposition encore, à savoir d’opérer un échange entre les propriétés turques et grecques en Europe et en Asie, échange qui sera difficile et laborieux à effectuer, mais dont à Athènes on a admis le principe. La réponse ottomane a produit une détente, qui amènera sans doute une entente et tout le monde le souhaite. Néanmoins, on n’a renoncé ni d’un côté ni de l’autre aux armemens et on y travaille avec ardeur. La question des îles n’est pas encore réglée entre la Grèce qui veut garder à tout prix Chio et Mitylène, et la Porte qui vise à les récupérer. On sait que celle-ci a acheté un dreadnought à l’Angleterre, ce qui l’a mise sur mer dans une situation supérieure à celle de la Grèce ; mais à son tour la Grèce vient d’acheter deux croiseurs aux États-Unis et ses achats ne s’arrêteront probablement pas là. Elle compte aussi sur son génie maritime et elle n’a pas tort : elle peut dire, comme on l’a fait ailleurs, que son avenir est sur mer. Les choses en sont à ce point. Des deux gouvernemens, aucun ne veut la guerre, mais l’un et l’autre augmentent fiévreusement leurs forces et il faut souhaiter qu’ils le fassent dans des conditions d’égalité, car, le jour où l’un des deux se sentirait incontestablement le plus fort, la paix serait bien précaire. Elle le serait surtout si ce sentiment de sa supériorité s’emparait de la Porte, car, à Athènes, on veut seulement conserver, tandis qu’à Constantinople on veut reprendre. Quant à l’intérêt de l’Europe, nul doute qu’il ne soit dans le maintien du statu quo.

Nous espérons qu’il se maintiendra entre la Turquie et la Grèce ; mais, en Albanie, son maintien est plus difficile, tant les fautes y ont été accumulées avec la plus extraordinaire ignorance ou insouciance des réalités et des nécessités les plus certaines. Il aurait fallu que le prince Guillaume de Wied fût un grand politique pour dominer une situation aussi difficile et embrouillée : malheureusement, il ne l’est pas et ceux qui l’ont envoyé à Durazzo auront de la peine à l’y maintenir. Il a eu affaire à deux compétitions opposées qui s’exerçaient du dehors sur le dedans, celles de l’Autriche et de l’Italie et, au dedans même, à deux influences opposées auxquelles leur caractère religieux donnait une énergie particulière, celles des catholiques et des musulmans. Le prince Guillaume aurait dû maintenir la balance autant que possible égale entre ces forces contraires dont l’équilibre aurait pu seul assurer sa propre indépendance et la Commission internationale l’aurait l’aidé dans cette tâche. Mais c’est ce qu’il