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Loin de se décourager, celui-ci redoubla d’empressemens et de soins, tandis que son collègue français n’était en mesure d’y opposer que « de froids conseils de sacrifice d’amour-propre, et des égards, respectueux sans doute, mais sans progrès. » La lutte était vraiment bien inégale, et Elisabeth ne put s’empêcher de marquer quelque gratitude, du moins en apparence, pour les soins de M. Foster. Bien que tout le monde fût persuadé que ce sentiment avait chez elle des bornes fort étroites, et n’aurait point de suites, autrement dit qu’elle ne changerait pas son nom de Bonaparte contre celui de Foster, Sérurier crut devoir risquer à cette occasion quelques représentations, personnellement cette fois. Elle les reçut fort mai, et répondit qu’elle entendait se gouverner par ses propres règles, non par les siennes à lui. A quoi son interlocuteur assez penaud se borna à répliquer qu’il ne l’importunerait plus de ses avis.

Heureusement pour lui, la guerre éclata sur ces entrefaites entre les Etats-Unis et l’Angleterre. Foster dut partir, Elisabeth rentra dans sa famille à Baltimore, et ne parait pas avoir revu le galant ministre d’Angleterre lorsque celui-ci passa par cette ville pour s’y embarquer.

Sérurier triomphait ; il regardait Elisabeth, par suite de la défaite du parti anglais, comme définitivement à l’abri des mauvais conseils : il ignorait quelle pénible surprise allait lui être réservée.

On était au début de décembre 1811 ; le jour même où Elisabeth rentrait à Washington, Sérurier était chez lui en train de recevoir M. Russell, ancien chargé d’affaires des Etats-Unis à Paris, quand on lui remit un journal de Baltimore que venait d’apporter le courrier. Il l’ouvrit pour voir s’il y avait des nouvelles, et fut stupéfait d’y lire celle d’une demande en divorce adressée par Elisabeth à la législature de l’Etat de Maryland. Comme il marquait sa surprise à Russell, celui-ci lui répondit que, sans être entièrement dans les secrets de la dame en question, il la savait fatiguée de sa position et décidée à en changer ; qu’elle se considérait, et que tout le monde la considérait comme légitimement mariée, et que, son mariage n’ayant pas été reconnu, il devenait indispensable de le rompre, afin d’être libre elle-même. De plus, d’après une loi passée dans la plupart des États et qui était au moment d’être votée en Maryland, toute personne qui recevrait une pension ou traitement