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avait gagné la faveur de Louvois ; Pajot était filleul du ministre Bouthillier de Chavigny et avait été successivement commis et maître des courriers. Les deux familles Pajot et Rouillé s’allièrent aussi étroitement que possible et placèrent dans les postes tous leurs enfans, gendres et petits-enfans, sans parler des cousins. Plusieurs acquirent quelque renom : le 2e Pajot, comte d’Onsenbray, dut à son goût pour la physique l’entrée comme membre honoraire à l’Académie des Sciences ; le 4e Rouillé, comte de Jouy, devint sous Louis XV ministre de la Marine, puis des Affaires étrangères ; mais c’est par leur besogne postale qu’ils méritent de nous intéresser.

Aimeras avait accepté de prendre les lettres ; Louvois les exigea. La poste fut investie d’un monopole, les messagers durent s’affilier à elle ou disparaître. Les baux successifs, à partir de 1672, attestent l’augmentation rapide des correspondances ; encore nous laissent-ils ignorer le produit brut des taxes ; nous ne connaissons pas davantage les frais d’exploitation et le bénéfice des fermiers. Grâce aux soins que les Rouillé-Pajot avaient de cacher leurs opérations et même d’en détruire les traces, — on brûlait, dit-on, les états tous les quinze jours, — il serait difficile de déterminer exactement leurs profits. Nous pouvons cependant nous en faire une idée approximative par un document, relatif aux postes « étrangères, » conservé, seul de son espèce, dans les papiers du contrôle général des Finances.

On avait dit au Roi que ces postes rapportaient a Louvois 6 500 000 francs, — un traitant aurait même offert de les affermer à un chiffre peu inférieur. — Lorsque le prince partit pour Mons, en 1691, il eut une scène avec son ministre, et peu s’en fallut que celui-ci ne fût dépouillé ; révolution qui se fit quatre mois plus tard, à sa mort. Bien des plaintes s’étant produites, notamment sur le défaut de fixité des tarifs, l’ancienne part de Louvois fut confiée provisoirement à un maître des requêtes, qui en compterait devant le Roi seul. Le monarque arrêtait les états de sa main, « travail, disait Pontchartrain, plus considérable que celui d’un écrivain à gages ; » mais Louis XIV ne reculait pas devant certaines corvées.

La recette des 115 bureaux composant ce qu’on appelait les postes étrangères montait (1693) à 3 580000 francs, dont plus du quart, — 956000, — provenait de 31 villes alors occupées par les armées françaises telles que Courtray, Namur ou Tournay