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font des statues nues. Dans son amour de la nudité féminine, dans son désir de rendre la chair vivante que ses yeux d’artiste ont caressée, Clodion surpassera tous ses prédécesseurs et les Grecs eux-mêmes.

Or cela, la Rome papale ne le veut pas : elle est hostile à la nudité de la femme qui choque la pudeur chrétienne. A Rome, après la Vérité du Bernin, je ne sais si, pendant tout un siècle, on pourrait citer une seule statue de femme nue. Et, comme en Italie, partout en Europe, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, les statues de femmes nues sont proscrites. N’est-ce pas là un point capital ? Seule en Europe la sculpture française, au XVIIIe siècle, se fait antique, et elle le devient parce qu’elle est sensuelle, et elle est sensuelle parce qu’elle se déchristianise. C’est l’évolution même que nous avons vue se produire au XVIe siècle entre les mains de Cellini et du Primatice. C’est l’art que la Rome chrétienne de la Contre-Réforme avait combattu et que la France reprend en devenant plus sensuelle encore que les Italiens au temps de la Renaissance.

Bien que l’on puisse dire en un sens que la peinture française au XVIIIe siècle est fort différente de l’art classique, il est un point essentiel par lequel elle se rattache à l’antiquité, c’est cet amour de la nudité qui prédomine chez elle tout autant et peut-être plus encore que chez les sculpteurs. Les peintres, il est vrai, n’avaient pas comme les sculpteurs de modèles antiques à imiter, mais la mythologie, avec toutes ses fables légères, était une source où ils ne cessaient de puiser. Sous Louis XV, comme dans la Rome antique, la même soif de plaisir fit naître le même art voluptueux. Toutes les femmes se déshabillent dans l’atelier d’un Pater et toutes demandent à un Nattier de les transformer en déesses de l’Olympe.

Le musée de Grenoble possède un tableau de Colin de Vermont qui représente Roger entrant dans le palais d’Armide. L’œuvre est exquise comme un Paul Véronèse. En avant d’un magnifique palais dont les colonnes de marbre rappellent les plus belles architectures vénitiennes, Armide, vêtue comme une actrice de l’Opéra, entourée des plus jolies filles de sa cour, s’avance gracieuse pour recevoir le héros, le guerrier triomphateur. Et lui, désarmé par les Amours, il va vers ce palais où toute sa force s’évanouira dans les bras de la sirène. L’œuvre est un enchantement pour les yeux et l’on voudrait