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Se souvient-on du motif qui a fait échouer M. Ribot après la démission de M. Barthou ? C’est parce qu’il a rencontré devant lui l’opposition irréductible du groupe, radical-socialiste, au nom duquel M. Caillaux lui a déclaré qu’il ne pouvait accepter et soutenir qu’un ministère présidé par un de ses membres. La même condition lui est imposée par eux aujourd’hui, mais M. Ribot a passé outre à l’obstacle qui l’avait arrêté, il y.a quelques mois. On ne l’accusera pas d’avoir divisé le parti républicain : il s’est divisé lui-même en deux fractions irréductibles. Si c’est un malheur, — nous laissons à l’avenir le soin d’en décider, — M. Ribot n’en est pas responsable. Son premier acte a été d’offrir un portefeuille à M. Viviani qui l’a refusé, en lui donnant pour motif qu’il ne lui apporterait aucune force, attendu que tous ses amis voteraient contre lui. Le refus de M. Viviani devait naturellement en amener d’autres, ceux de M. Messimy, de M. Renoult, de M. Métin, sans parler des sous-secrétaires d’État, MM. Jacquier et Ajam. M. Noulens, ministre de la Guerre, a hésité ; M. Ribot faisait appel à son patriotisme et il aurait bien voulu lui donner son concours ; mais il a entendu gronder sur sa tête les foudres de la rue de Valois : il s’est soumis, il s’est démis. Qu’allait faire M. Ribot ? Les radicaux unifiés croyaient sans doute que l’histoire se répéterait, et que M. Ribot s’effacerait devant leur opposition : il n’en a rien été, et leur déception en est tournée à l’irritation. Le groupe s’est réuni et, sur l’observation d’un de ses membres que le choix de M. Ribot au lendemain des élections générales constituait « un défi, » a voté une motion ainsi conçue : « Le groupe du parti républicain radical et radical-socialiste renouvelle l’ordre du jour voté le 1er juin, par lequel il déclare qu’il n’accordera sa confiance qu’à un Cabinet s’appuyant exclusivement sur la majorité de gauche, fermement décidée à poursuivre la réalisation du programme de Pau, et compte sur la discipline de tous les membres du parti. » Est-ce la guerre ? on le verra bien. En tout cas, ce n’est pas M. Ribot qui l’a déclarée. À qui la faute si M. Viviani n’a pas pu former un ministère ? Elle est à M. Godard, à M. Ponsot, au groupe radical-socialiste lui-même qui croit avoir la force et le droit d’opposer son veto à tous les ministères dont le chef n’est pas un homme à lui. A-t-il ce droit ? A-t-il cette force ? L’événement montrera s’il y a là une réalité ou simplement un immense bluff. Le parti radical et radical-socialiste, enivré de quelques succès dont il exagère l’importance, s’imagine être à lui seul le parti républicain tout entier. Il dit volontiers : « Moi seul, et c’est assez. » Il le dit, mais il lui reste à le prouver, et la résolution avec laquelle M. Ribot a constitué