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tremble. Il hésite avant d’agir, et, après avoir agi, il se repent. Mais il y a plus. Macbeth criminel conserve une conscience d’honnête homme. C’est sa définition. Et on s’en aperçoit dès la première minute, à celle même où l’idée du crime lui apparaît pour la première fois. Car une idée n’est pas ce je ne sais quoi d’abstrait qu’imaginent parfois les philosophes. C’est un être vivant, formé à la ressemblance de celui qui la porte en lui. Dès le début, et dans un raccourci d’avenir, l’idée du crime se présente à Macbeth telle qu’elle peut apparaître à un homme de sa complexion, avec son cortège d’angoisses physiques et morales, de terreurs et de remords.

Laissé à lui seul, Macbeth aurait-il commis le crime ? Peut-être. Toujours est-il qu’une volonté étrangère s’est substituée à la sienne et, sans lui laisser le temps de se reconnaître, l’a mené au but impérieusement. Lady Macbeth est le cerveau qui conçoit et ne lui laisse qu’à être le bras qui exécute. Encore une fois Eve a été la tentatrice. On s’est étonné que, dans ce couple tragique, Shakspeare ait mis du côté de la femme la promptitude et la netteté de décision. C’est que la femme, toute à sa passion, ne réfléchit pas : elle agit. L’homme, moins dominé par son désir, conserve assez de liberté d’esprit pour apercevoir les conséquences et supputer les objections. Ce rôle de lady Macbeth, on a coutume chez nous de le jouer comme celui d’une mégère ou d’une virago. Reconnaissez là notre amour de la logique. Cette femme aux mains sanglantes doit être, à tous les momens et dans toutes les circonstances de la vie, une furie. On comprend le rôle tout autrement en pays anglo-saxon. Je ne l’ai pas vu jouer en Angleterre ; mais je l’ai vu jouer en Amérique. L’actrice, qui d’ailleurs était Polonaise, Mme Mojeska, faisait de lady Macbeth une amoureuse, coquette et mièvre. Je crois qu’elle exagérait. Il reste que lady Macbeth n’est ni une dévergondée, une femme de luxure et de sang, ni une politique gouvernant par le meurtre ; c’est une épouse tendre, affectueuse, entièrement dévouée à son mari, au bien de son mari, à la grandeur de son mari, dévouée jusqu’au crime. Elle ne vit et elle ne se damne que pour lui. Elle l’admire, et, tout en l’admirant, discerne le défaut de sa nature trop pleine du lait de l’humaine tendresse. Elle se porte à son secours ; elle lui est protectrice et maternelle. En d’autres termes, elle est femme et ne cessera pas d’être femme. J’ajoute qu’elle est excellente maîtresse de maison, s’entend à improviser une fête, a le sourire de l’accueil, sait parer de grâce l’hospitalité du home. C’est une lady. Elle n’en est pas moins atroce ; elle l’est peut-être davantage, mais c’est d’une atrocité plus complexe, plus humaine, plus vraie. Cette