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Et quand les Yunnanais, entraînés par le général Tsai, eurent chassé les mandarins impériaux et proclamé l’autonomie de leur province, ils coururent l’annoncer au Consul de France : « Nous avons fait une révolution ! M. Tsai même chose Napoléon ! »

Ce que l’on appelle la « civilisation européenne » représente bien un même ensemble d’instrumens, de machines, de méthodes et de procédés, mais il s’en faut que cela constitue un bloc cohérent de conceptions sociales, religieuses, politiques. Des États-Unis, du Japon, sont venus aux Chinois des enseignemens et des exemples très différens de ceux qu’ils recevaient de France ou d’Angleterre, de Russie ou de l’Allemagne. Cet ensemble de nouveautés disparates s’est quelque peu fondu et amalgamé avec les conceptions indigènes : du mélange sont nées des aspirations presque générales vers un gouvernement plus national, d’où les Mandchous seraient exclus, et plus libre, c’est-à-dire doté d’institutions parlementaires et représentatives. Mais les vieux instincts particularistes ne disparurent pas et la révolution se traduisit d’abord, presque partout, par l’organisation d’un gouvernement local. Il ne faut pas oublier, pour bien comprendre la révolution chinoise, que le commerce et l’industrie ont développé, en dehors de la classe des lettrés, une bourgeoisie active, riche, cultivée et progressiste. Des Chinois de plus en plus nombreux voyagent et vont faire leurs études dans les Universités d’Europe, du Japon et surtout des Etats-Unis ; mais il arrive souvent qu’ils se déracinent et qu’en rentrant chez eux ils ont perdu le contact avec leurs compatriotes et la mesure des réformes qui peuvent s’adapter à leur pays. Aux Etats-Unis, au Japon, à Singapore, en Indo-Chine, en Europe, les Chinois sont presque tous révolutionnaires. Les principaux chefs de la révolution de 1911, Sun-Yat-Sen par exemple, sont des américanisés dont les prédications libérales et socialistes correspondaient à certaines tendances des Chinois cultivés, mais dont la mentalité ne tarda pas à se révéler séparée par de profondes incompréhensions de celle de leurs compatriotes. C’est la double cause de leur succès relatif et de leur échec final.

Les croyances et les conceptions chrétiennes ont exercé une grande influence sur le développement des idées nouvelles en Chine. Les catholiques comptent près d’un million et demi de fidèles ; les protestans environ deux cent mille ; ceux-ci, les